La façade du rade est aussi accueillante qu'un lavement de lépreux, mais je m'y engouffre tout de même, vu que c'est là que Sa Majesté l'Enflure m'a rencardé.
Derrière le zinc, se dresse une montagne de saindoux occupée à bâfrer des épinards, et qui doit être le taulier. Au-dessus de ses douze mentons, trône une espèce de morille rubiconde faisant office de groin. Entre les deux, se dessine une fente qui ressemble plus à un cul de vache qui vient de se soulager qu'à une bouche humaine. Pourtant, l'étrange orifice finit par lâcher un « c'qu' c'est ? » fatigué.
Une bouteille de rye patron, lancé-je joyeusement. J'ai rendez-vous avec mon adjoint l'inspecteur principal Alexandre Benoît Bérurier !
Le loufiat lève péniblement une paupière sur mon auguste personne, fils unique (et nez en moins préféré) de Félicie ma brave femme de mère, puis s'exécute, tandis que je balaie du regard la salle crasseuse, à peu près aussi vide que la conscience d'un huissier. Le Dodu ne devrait plus tarder, ma tocante m'indiquant qu'il est formellement 15 heures.
Tandis que je m'apprête à me téléphoner derrière la baveuse un troisième glass de raide, la lourde de l'estanco lâche un râle d'agonie sous la poussée virile de Bibendum.
- Ah t'es là San A, se réjouit la Gonfle. J'eusse peur d'être en retard, biscotte juste au moment où ce que j'allais les mettre, ma Berthe a voulu que j'lui rejoue un p'tit air de radada de dernière minute. Une sorte de rappel quoi ! C't'une gourmande ma Berthe, hein ! Tu la connais...
- Je.
- Note, c'est pas qu'je soye contre hein ! Seulement j'étais départagé vu que je t'avais donné rencard. J'sus t'un homme d'honneur mézigue ! Et je tiens à honorer z'à la fois ma baleine et mon supérieur hiératique.
- Je passe mon tour, Gros.
L'Énhaurme ne relève pas ma boutade, et enchaîne :
« Bon, c'est pas le tout, mais faut qu'je me rince la meule là, j'ai comme qui dirait la râpeuse en cale sèche. Patron, fais gerber une boutanche de rouquin pour commencer, du Beaujolpif. Et du bon hein !
- Tu veux pas un scotch ? J'ai pris une bouteille, proposé-je.
- Oh après, faut d'abord que j'rince le cochon. C't'une question d'hygiène corollaire tu comprends.
Le Gravos s'envoie sa bouteille en un peu moins de pas longtemps, avant de plonger un auriculaire fureteur dans sa trompe d'Eustache. Il en ressort un ongle chargé d'une substance de couleur indéfinie, ausculte attentivement le résultat de ses investigations, puis le fixe négligemment sur sa limace qui en a vu d'autres, puisqu'elle est déjà souillée de jaune d'uf, de rillettes séchées, et de quelques autres reliquats alimentaires indéterminés.
- Alors, qu'est-ce que t'avais de si urgent à me bonnir, mon Dodu ? Interrogé-je.
- Ben voilà, commence l'Immonde. Figure-toi que cette pelure d'Alfred, le coiffeur d'en bas de chez nous me soutient qu'il a vu dans une librairie des nouveaux San-Antonio.
- Et ? L'encouragé-je à poursuivre.
Le Mastar pose sur mon physique d'Appolon son regard bovin, mais demeure muet comme une carpe.
- Mmh ? Onomatopé-je
- Ben quoi Tonio, tu sais bien que Dieu le père a becqueté son bulletin de naissance, y'a de ça douze piges ! Comment qu't'esspliquerais qu'il écrevisse de nouvelles z'aventures en suçant des racines de pissenlits tézigue-pâte ? J'veux bien que tu soyes plus intelligent que ma pomme, mais supérieur rachitique ou pas, t'as comme qui dirait du jeu dans la comprenette ! Permets-moi de doutasser un poil de ta santé fiscaulogique mon pote !
Je me marre comme quinze congrès de hyènes en goguette, et finis par affranchir Gradube.
- Ce ne sont pas de nouvelles aventures, hé pomme à l'huile ! Simplement une réédition complète des aventures san-antoniaises, et pour la première fois dans l'ordre chronologique !
Derrière nous, la porte lâche une ultime plainte, plus ténue toutefois, quand apparaît Pinaud, mon autre précieux collaborateur. Il semble guilleret le Débris. Il tente de rallumer une énième fois l'espèce d'insecte bizarre qu'il persiste à prendre pour une cibiche, et enflamme immanquablement les derniers vestiges de sa pauvre moustache de rat malade. Il éteint le sinistre tant mal que bien, et commande un muscadet au patron.
- Figurez-vous que j'ai trouvé un bouquin qui va vous en boucher un coin, et p't'être même deux ! lâche le Pinuchet des familles. Et de sortir triomphalement de sa poche le tome 9 de mes fantastiques, authentiques (et encore plein d'autres mots en -tiques) exploits ! L'Ignoble, occupé à lichetrogner sa troisième bonbonne de rouquin, se tourne alors vers le Déchet, et se met à beugler :
- Mmeeeuhhh ! C'est quoi t'est-ce que c'te couverture à la mords-moi le jonc ? Nan mais vise un peu ça San-A ! Un dessin commak, que j'en voudrais même pas dans mes vouatères ! Ou alors comme faf à train, et z'encore.
- C'est vilain admets-je sincèrement. Entre nous et la porte de Clignancourt, on est loin des couvertures de François Boucq !
- Ah ben vous z'êtes déjà au courant vous z'autres ? se lamente la Lavasse. Z'avez fait Dard-Dard ! Moi qui me faisais une joie de vous surprendre.
- Allez, te biles pas Vieille Guenille, le consolé-je, l'essentiel c'est de prendre plaisir à replonger non ?
- Mmmmhh gromelle la Vieillasse, t'as sûrement raison San'Tonio, mais dans le muscadet alors.
Flag, San-Antoniais.
A voir également, les magnifiques couvertures de François Boucq :
http://www.actuabd.com/La-legende-de-San-Antonio-vue-par-Francois-Boucq
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