"Jeanne est une mère au foyer qui a élevé quatre enfants, son mari est cadre chez IBM. Jeanne ne s'ennuie jamais, même, et encore moins, si aujourd'hui ses enfants, devenus adultes, ne lui reviennent qu'à Noël. Jeanne a toujours été active, bien qu'elle ressente une sorte de vide, du fait qu'elle n'a jamais connu le contentement de recevoir une feuille de paye par la poste en fin de mois. D'ailleurs, qu'aurait-elle fait de cette somme versée mensuellement ? Elle n'a pas de compte en banque à son nom, mais à disposition, dans son porte-monnaie, la carte Gold de son époux. Jeanne se réalise en préparant les repas quotidiens, en ravaudant les chaussettes de son mari, en coupant des robes dans du tissu acheté au Marché Saint Pierre et en bricolant de-ci, de-là un lampadaire chiné chez l'abbé Pierre ou une commode bancale trouvée sur le trottoir.
Jeanne a un violon d'Ingres. Elle écrit son journal. Elle prend des notes dans un gros cahier à spirale. Y consigne ses joies, ses peines, ses contrariétés, tout ce qui lui passe par la tête. Parfois même, elle s'adonne à la poésie, déclinant une sensation sur le papier quadrillé, comme une fleur d'émotion poussant sur son quotidien tiré au cordeau.
Ce qu'aime Jeanne plus que tout, c'est étirer de longues plages de lecture entre les commissions, le rangement de la maison et toutes ces choses anodines que personne n'évoque jamais tant elles coulent de source et n'attirent l'attention que lorsqu'elles ne sont pas faites.
Jeanne est abonnée à un site internet : une libraire. Elle y a créé un compte client, enregistré les coordonnées de la Gold, en un seul clic, elle se fait plaisir. Le meilleur moment étant cette attente entre la commande et le lendemain, quand le facteur sonnera vers dix heures pour lui remettre un carton scellé de ruban adhésif à l'effigie de sa librairie électronique. Ce dernier livre va la bouleverser. Elle aura l'impression de s'y reconnaître à chaque page, à chaque paragraphe, à chaque ligne. Comme si l'auteur avait puisé dans son propre journal des pensées qui l'avaient effleurée et qu'elle n'avait pas su exprimer. À peine a-t-elle tourné la dernière page que Jeanne se précipite sur l'ordinateur pour commander d'autres ouvrages du même auteur : Robert Nainais. Elle n'avait jamais entendu ou lu ce nom. Elle opérera de méticuleuses recherches sur le net sans jamais arriver à afficher la page qui lui permettrait de visualiser son visage. "
Je ne vais pas tout dévoiler de l'intrigue de ce roman qui commence là, puisque vous ne le trouverez pas, il n'existe pas, n'a jamais existé, jamais n'existera.
J'avais juste envie d'écrire une quatrième de couverture.
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