Lorsque le 21 avril 1890, Anton Tchékhov quitte Moscou pour un voyage en direction de lExtrême-Orient russe, il ne sait sans doute pas quil lui faudra presque 3 mois pour traverser ce territoire immense. Il veut atteindre lIle de Sakhaline, qui se trouve au Nord du Japon, soit un trajet de lordre de 12 000 km. Extrêmement sensible à la misère dautrui, il souhaite témoigner en tant que médecin sur la réalité de ce territoire isolé et sur les conditions dexistence des bagnards internés dans cette île-prison.
Tchékhov a exercé la médecine à partir de 1884 à Zvenigorod, près de Moscou, mais il a aussi écrit : La Steppe, publiée en 1888, qui est renommée pour ses minutieuses et authentiques descriptions de paysages. Il commence à être connu et même apprécié dun Léon Tolstoï et, plus tard, dun Maxime Gorki depuis quenviron six cent trente cinq nouvelles, principalement entre 1883 et 1887, sont parues dans plusieurs journaux, notamment dans : Le Messager du nord, Les Nouvelles russes, La Pensée russe, Temps nouveaux...
A lépoque où il décide dentreprendre son voyage, il est déjà malade et le réseau ferroviaire nest pas très développé. Les travaux du futur Transsibérien ne vont commencer quen 1891 et la ligne narrivera à Irkoutsk quen 1904 (α)
Pour se rendre jusquau rivage de lOcéan Pacifique, Anton Tchékhov commence par prendre le train jusquà Iaroslavl. Puis il emprunte un bateau à vapeur sur la Volga pour Nijni-Novgorod et Kazan, puis sur la Kama jusquà Perm. Il se déplace ensuite en calèche à travers lOural, Iekaterinbourg, la Sibérie occidentale, Tioumen, Tomsk, Krasnoïarsk et Irkoutsk, jusquau lac Baïkal quil traverse sur un caboteur. Il remonte le fleuve Amour pour atteindre les villes de Blagovechtchensk, Khabarovsk, Nikolaïevsk. De là, il prend le bateau pour la côte nord de lIle de Sakhaline.
Il va effectuer une grande partie de cet interminable parcours dans des conditions dures et très éprouvantes lui qui est déjà atteint de tuberculose. Mais malgré cela, il parvient tout de même à envoyer à ses proches et à ses amis, de nombreuses lettres, délivrant de multiples détails sur les évènements qui jonchent ce périple. Plusieurs fois, Tchekhov loue la beauté des paysages de la Sibérie et de lExtrême-Orient ainsi que lesprit de liberté des habitants, mais il en dénonce également la pauvreté. Dans « Correspondance et notes de Sibérie », il écrit :
« La grande route de Sibérie est la plus grande et apparemment la plus affreuse route du monde. [...] la terre tarde à sécher, on ne trouve aucune voie de détour, il faut bon gré mal gré rouler sur la route. Et c'est pourquoi les voyageurs attendent d'avoir dépassé Tomsk pour grogner et collaborer avec zèle à la rédaction de réclamations. Messieurs les fonctionnaires lisent leurs plaintes avec grand soin et écrivent au-dessus de chacune d'elles : "Ne pas donner suite." À quoi bon écrire ces mots ? ».
Puis, + loin, lorsquil remonte le fleuve Amour :
" Les rivages sont si sauvages, vierges et somptueux quon voudrait y rester et y vivre jusquà la fin des temps."
Les dangers sont multiples : " Il fait un froid de loup", litinéraire est semé dembûches : "Jai guerroyé avec les crues, le froid, le bourbier, la fringale et l'envie de dormir" ou encore : " Peu avant le soir, on me dit au relais qu'il n'est pas possible d'aller plus loin car tout est inondé, les ponts ont été emportés".
Steppe, cours deau, taïga, toundra, les paysages nont pas dû vraiment changer depuis le passage de Tchékhov. Jy pense souvent alors que le départ de notre escapade sibérienne est proche. Mais nous ne suivrons pas les traces de ce grand conteur et dramaturge. Car cest à partir du lac Baïkal que nous effectuerons Babaka, Eva stellaby, Pierre et moi le trajet en train en direction de lOuest. Un voyage à lopposé des séjours standards proposés par les agences, un voyage au dépaysement assuré où le contact avec la nature doit procurer des sensations exceptionnelles
Contenant autant deau douce que les cinq Grands Lacs dAmérique du Nord réunis, le lac Baïkal se situe sur la ligne de faille entre deux plaques tectoniques qui séloignent progressivement lune de lautre. Peu à peu, le niveau du fond du lac sabaisse. La longue île volcanique dOlkhon, séparée de sa rive Ouest par un bras étroit, est en fait une montagne immergée de 1300 m daltitude, mais aussi le sanctuaire du chamanisme. Cest là que nous débuterons notre séjour, à Khoujir très exactement. Plus de 300 rivières et cours deau se jettent dans le lac tandis quun seul fleuve sen échappe: lAngara. Un lac qui gèle jusquà une épaisseur de 3 mètres. En mars, la banquise, qui se modifie sous l'action du dégel mais qui continue à s'épaissir par endroits, se dilate. Si le mouvement de la banquise rencontre un obstacle (haut-fond, falaise) celui-ci la fait émerger, formant des amas de glace dune hauteur impressionnante.
La cité dIrkoutsk, où nous avons prévu de nous arrêter quelques jours, ne comptait que 40 000 habitants lorsque Tchékhov y fit une halte avant de traverser le lac. Mis à part les maisons de bois traditionnelles, léglise de lassomption et la cathédrale de lépiphanie, datant du 18ème siècle, cest maintenant une population de près de 600 000 habitants qui vit concentrée dans des immeubles du centre ou à proximité des complexes industriels. Irkoutsk est considérée comme lune des plus grandes villes de Sibérie, disposant dun pôle universitaire et de recherche important. Peut-être pourrons-nous voir amarré au port le plus vieux brise-glace à vapeur du monde (1900), « lAngara », qui est aujourdhui un musée.
Nous quitterons la Sibérie orientale pour nous rendre par le Transsibérien à Taïga puis à Tomsk. Plus de 24 heures de trajet. On peut difficilement imaginer le temps quil fallut à Tchékhov pour faire le déplacement nayant dautres choix que la traction animale ! Le chemin de fer narrivera à Tomsk quen 1896 (ligne Novonikolaïevsk/Taïga/Tomsk)
Après un court séjour à Tomsk, cité fondée en 1604 qui ne ressemble à lépoque du voyageur à aucune autre ville dans le monde avec ses maisons en dentelles de bois, Tchékhov poursuivit vers lEst. Il ne garde dailleurs pas un bon souvenir de son passage à Tomsk. Une statue de lécrivain a été réalisée en bronze - pour inciter peut-être les jeunes à relire ses ouvrages - et implantée sur le quai le long du fleuve Tom.
En descendant du train à Nijni Novgorod, nous aurons non seulement une pensée pour Tchékhov qui y arriva en bateau mais aussi pour A.Sakharov qui y fut assigné à résidence de 1980 à 1986.Cette vieille cité marchande de la Russie, le célèbre et prolifique romancier Alexandre Dumas la décrit dans :
« De Paris à Astrakan », puisquil sy rend en 1858 en empruntant la Volga jusquà la Mer Caspienne. Sans doute a-t-il marché sur les remparts de son énorme forteresse en briques rouges ? Ou bien sest-il promené sur les quais du grand fleuve ou de son affluent lOka ? La cité a quitté son statut de ville fermée en 1990 (avant elle sappelait Gorki)
Après avoir visité une petite partie du territoire russe, nous reviendrons sûrement avec une toute autre vision de ce pays. Un peu moins déformée sans doute quauparavant car nous aurons puisé une partie de lénergie libérée par ce miroir de glace qui couvre le lac Baïkal. Peu de touristes étrangers vont en Sibérie à cette époque de lannée. Lorsquon parle de cette contrée, limage qui vient à lesprit du plus grand nombre est à la fois effrayante et romantique. Une contrée que lon assimilerait à : froid, loups, taïga, solitude, pionniers et si lon remonte un peu dans le temps : déportés. Elle a été, est toujours et restera une source dinspiration pour de nombreux écivains (β).
Contrairement aux écrivains engagés, Anton Tchékhov revendiquait le droit de n'appartenir à aucun parti et de frapper aussi bien à droite qu'à gauche selon les ordres de sa conscience. Et puis ce que jaime cest sa profonde humanité, la description quil fait des hommes, de la nature, de la vie.
alioth
« Ne peut être beau que ce qui est grave. » Anton Tchékhov
uvre littéraire (cette liste nest pas exhaustive !)
Nouvelles :
1880 : Pour des pommes
1887 : La Fortune
Récits :
1890 : Notes de Sibérie
1894 : LIle de Sakhaline carnet de voyage
Théâtre :
1895-1896 : La Mouette ; comédie en quatre actes
1897 : Oncle Vania ; scènes de la vie de campagne en quatre actes
1901 : Les Trois Surs ; drame en quatre actes
1904 : La Cerisaie ; comédie en quatre actes
(α) Avant la création de ce chemin de fer, le voyage en Sibérie était une dure épreuve. Il existait un chemin, appelé « trakt » fait de pierres disloquées et de cailloux, très peu praticable. Il fallait près de deux mois pour se rendre de Moscou à Irkoutsk.
(β) «
Le géant Ienisseï a toujours exercé sur mon imagination un prestige irrésistible et dominateur. Jai déjà dit comment cette immense masse deau verdâtre, froide et pure, qui descend des sommets neigeux des monts Sayan, de lAbakan, de lOulan taïga et des Tannu-Ola, se soulève dans sa toute-puissance et brise la dalle massive de glace sous laquelle lhiver cherche à lensevelir. » Asie fantôme : A travers la Sibérie sauvage 1898-1905
Ferdynand Antoni Ossendowski - écrivain polonais Né à : Vitebsk le 27/05/1876
Mort à : Milanówek le 03/01/1945.
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