Le métal en fusion n'attend pas; tout tourne autour de lui...engranger des sensations...il faudra que je revienne si c'est possible.....
Dans la dernière salle, celle des morceaux à terre et en vrac, des pièces de pièces, du bronze brut encore collé de scories à celui déjà patiné, couleur d'or, miel méché ou chocolat chaud, noir de bougie ou pâle comme la craie, bleu ou vert grisé...il y a une femme, je l'aperçois, elle est de dos, grande et mince, elle porte un jean, un pull de laine informe tricoté main, son chignon bricolé à la va vite, croule sur sa nuque...elle tourne autour d'un bronze à patiner : un groupe d'enfants...son sourire est doux et serein, un peu ailleurs....heureuse...je pense "baba cool" et comme j'ai la dent dure : "encore une émule de Sarah Kay"...ça ne me donne pas envie de m'attarder, je ne vibre pas...je ne suis juste pas intéressée...c'est mièvre, visages à peine esquissés...calmes et reposés...pas de quoi se mettre le plexus en marmelade, la rate au court bouillon....
J'ai, pour l'éviter, pris le sens contraire, dit à G. " Je n'aime pas du tout", mais pas ajouté "ça me dérange et je ne sais pas pourquoi..."
Et puis, comment est ce possible..nous nous sommes retrouvés côte à côte, devant un bronze presque terminé de trois femmes enceintes...G. a dit " Vous êtes "l'auteuse"?..elle souriait en retour, ravie de partager, de discuter, de nous parler de sa dernière création...j'ai fait quelques pas de côté, je saisissais des bribes de leur conversation...j'ai senti, comme elle me regardait et demandait d'ou je venais qu'il fallait que je dise quelque chose....quelque chose de "bien comme il faut"..quand je veux, je sais très bien faire et je peux faire durer....
" Vous avez commencé comment ?" me suis je hasardée...en pensant à Catalano, l'homme déchiré, à qui j'avais omis de poser la question fatidique, mais qui m'avait en partie répondu : "j'ai été électricien jusqu'à l'âge de quarante ans...." électricité et sculpture : une histoire de "fil conducteur" et elle?
C'est tout ce que j'avais trouvé...je ne pouvais décemment pas lui dire "Sarah Kay, revisité, banal, années 80, mes filles en rafollaient...de plus, là, nous étions devant trois maternités en devenir...elle m'a dit simplement et sereinement : "J'ai commencé à toucher la terre quand, enceinte de six mois et déjà mère de trois enfants, les médecins m'ont annoncé que je n'avais que peu de temps à vivre car j'avais un cancer des os...j'ai pensé avorter puisqu'il fallait que je m'occupe des autres enfants d'abord et puis, je n'ai pu m'y résoudre....mon angoisse, mon stress, ma souffrance, je les passais à la terre qui absorbait tout...l'enfant est né, le cancer n'était plus là....pour remercier la vie, j'ai adopté une petite fille autiste, un petit africain avec des problèmes de motricité et enfin un troisième.....cela nous fait sept enfants en tout à mon mari et à moi...c'est une grande famille et c'est la source de mon inspiration, de notre vie...je n'aurais jamais pensé en vivre mais les gens achètent et il y a de la demande...je creé de plus en plus...c'est bien, parce ..que sept enfants, c'est dur à élever...nous sommes des paysans, nous habitons à la campagne du côté de G'nève....si vous passez par chez nous, j'ai la cabane au fond du jardin où je sculpte et je serais ravie de travailler avec vous...si vous avez envie....."
Je l'ai remerciée et invitée également à venir quand elle passerait par Antibes, qui est une de ses destinations de vacances....de temps en temps, pas trop souvent parce que c'est cher , simplement pour mettre les pieds dans l'eau à l'aube quand tout est désert...et ressentir la fraîcheur du sable sous les pieds, la nature et la vie en toutes choses.....et le bleu de la mer....
J'étais un peu séchée sur pied.....qui a dit qu'on n'avait pas besoin d'explications quant à l'Art sous toutes ses formes? moi, bien sûr qui l'ai crié haut et fort : j'aime pas la Joconde et le bla bla qu'on nous sert avec...j'aime les bas reliefs sumériens qui eux ne réclament pas de paragraphe...et quelques autres....
G. s'était décalé pendant cet échange....il me dit plus tard que j'avais été très silencieuse et attentive...il l'a embrassée en partant; il était ému et m'a dit : "comment fais tu pour aborder des choses aussi intimes avec des personnes que tu viens seulement de croiser?"
J'ai pensé à ce qui m'avait dérangée : cette image idéale et parfaite de la famille.....qui me renvoyait à la mienne tellement fragmentée qu'elle n'existe plus....
Sylvie, elle s'appelle ainsi, a le regard clair serein et bleu tendre, les joues roses et le calme avenant des femmes qui ont traversé les tempêtes......
Moi, je pense aux Krafft, Maurice et Katia qui ont, pour vivre leur passion de la fusion jusqu'au bout, embarqué sur une lame de pierre vivante vers leur éternité.....
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