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Un oiseau dans la jungle des hommes par Sablaise1

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C’est l’histoire d’un petit animal qui aurait dû vivre libre dans son Gabon lointain mais que la cupidité des hommes mena en France pour y connaître l’emprisonnement et l’abandon. Il y a trente ans il a vécu deux années sous mon toit et je pense encore à lui comme à l’un de ces amis chers qu’un jour les circonstances de la vie vous font perdre. Il s’appelait Jacquot, parlait avec à-propos, se servait de sa patte comme d’une main, exprimait toutes sortes d’émotions et était membre à part entière de ma petite famille. Jamais je n’aurais eu l’idée d’acheter un perroquet, je ne conçois cet animal qu’en pleine nature dans son pays d’origine, mais le destin en avait décidé autrement. Mon beau-frère avait acheté Jacquot pour égayer la vie de sa petite fille atteinte d’une maladie génétique et le petit perroquet gris à queue rouge avait apporté des années durant beaucoup de joie et d’animation à la petite malade et au reste de la famille. Lorsque la jeune fille a été emportée par la maladie à vingt ans, ses parents n’ont plus supporté l’oiseau qui appelait sa petite maîtresse par son prénom à longueur de journée. Ils nous ont demandé de l’accueillir et nous l’avons fait bien volontiers. Nous avons installé la grande cage dans la cuisine et cherché à établir la communication mais Jacquot demeurait silencieux la plupart du temps. Il n’avait aucun appétit et passait son temps à s’arracher méthodiquement plume après plume. Très inquiets, nous l’avons conduit chez le vétérinaire qui a diagnostiqué un « piquage du perroquet ». Il nous a expliqué que c’était une attitude d’automutilation liée à la dépression, l’animal ne supportant pas d’avoir perdu ses maîtres et quitté son univers familier. Pour le guérir il fallait l’entourer et le distraire et nous avons pris les mesures nécessaires. Quand nous étions là il y avait toujours quelqu’un pour s’occuper de Jacquot et lui parler, les enfants venaient même lui réciter leurs leçons. Quand nous devions le laisser seul il avait droit à France Musique qui lui permettait d’accompagner (avec plus ou moins de bonheur) les airs d’opéra. Petit à petit il s’est habitué à nous, s’est remplumé et a recommencé à parler. Nous n’avons pu lui apprendre aucun mot nouveau, je suppose qu’il y a un âge limite pour cela, mais son premier maître l’avait doté d’un répertoire très varié. Il sifflait plusieurs airs connus dont la Panthère rose et comptait jusqu’à cinq. Il connaissait beaucoup de mots et les employait avec à propos, par exemple chaque fois qu’il nous voyait prendre la serpillière il s’exclamait « il a pissé partout ! » en souvenir du chien de ses anciens maîtres. Si un enfant se faisait gronder, il hurlait « méchant ! méchant ! » et on ne pouvait plus garder son sérieux, à la grande joie du fautif. Lorsque quelque chose l’avait contrarié il se lançait dans des « merde ! » retentissants. Ca commençait par « merde !»…puis « merde, merde, merde ! » et ça finissait dans un hurlement par un « meeeeeeeeeeerde ! » interminable et désopilant. Il se mettait facilement en colère, par exemple s’il avait demandé de sa voix la plus suave « cacahuètes Jacquot ? » et que n’en ayant plus en réserve on avait mis dans son bac des graines ordinaires…il vous jetait un regard furibond, mettait son bec dans le bac et l’agitait frénétiquement jusqu’à ce que les graines aient valsé dans toute la cuisine. Il savait aussi être courtois et adorable. C’était toujours un plaisir le matin de commencer sa journée accueilli dans la cuisine par un « bonjour Jacquot ! » dit d’une voix de soprano à mon adresse et à celle des enfants mais d’une voix de baryton à l’adresse de l’homme de la famille. Même chose le soir, jamais il ne nous aurait laissés couvrir sa cage pour la nuit sans nous gratifier d’un « bonsoir Jacquot ! » personnalisé. Il adorait se faire caresser la tête. C’était un grand timide, il ne disait pas un mot tant qu’il y avait un étranger dans la maison à la grande déception des amis qui devaient se contenter de l’écouter sur cassettes enregistrées. Jacquot partageait notre vie depuis deux ans lorsque nous avons décidé de partir en vacances en Espagne. Ne pouvant le confier à n’importe qui, nous avons demandé à son ancien maître de s’en occuper pendant les deux semaines du voyage et il a accepté. Le voyage fini, sur la route du retour, plus la Vendée approchait plus l’excitation montait dans la voiture à l’idée de retrouver notre petit ami à plumes qui nous avait beaucoup manqué. Nous sonnons à la porte du beau-frère qui fait une drôle de tête en nous voyant et nous annonce qu’il a vendu Jacquot à la boutique animalière d’une galerie marchande car il avait accumulé des dettes et on lui en offrait trois mille francs. Beaucoup de pleurs dans la voiture tandis que nous filons à la boutique décidés à racheter Jacquot quitte à faire un emprunt. Malheureusement le commerçant nous répond que l’oiseau n’est pas à vendre et qu’il souhaite le garder chez lui. Pauvres de nous et surtout pauvre de lui, petit Jacquot arraché à son pays natal puis à sa famille d’accueil à cause de sa valeur marchande. Je me demande parfois s’il est encore en vie et si on s’occupe de lui aussi bien qu’il le mérite.

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