Hier je me suis endormie inconsciente d'avoir bu trop de ce vin opale avec de quoi dormir aussi. Ce matin, je ne me rappelais rien. Je pense que j'ai du vivre ainsi un désir dont je n'étais pas consciente et je jalouse la science sourde de mon corps.
J'ai oublié le mot que j'allais prononcer.
L'hirondelle aveugle retourne au royaume des ombres,
L'aile rognée jouer avec les transparentes.
Un chant nocturne chante en cette pâmoison.
Les oiseaux se sont tus. L'immortelle n'a pas fleuri.
Leur crinière est limpide aux nocturnes troupeaux.
La barque flotte vide en un fleuve tari
Et parmi les grillons la parole se pâme.
Pour s'élever, temple ou coupole, lentement,
Et soudain contrefaire Antigone démente,
Ou tomber à nos pieds comme hirondelle morte,
Parée d'un rameau vert et de douceur stygienne.
Ô ! rendre aux doigts voyants seulement la pudeur
Et la saillante joie de la reconnaissance.
Je crains plus que tout le sanglot des Aonides,
La cloche, le brouillard et la faille béante.
Les mortels ont ce don - reconnaître et aimer,
Même le son coule dans leurs doigts comme une onde,
J'ai oublié le mot que j'allais prononcer.
Désincarnée l'idée retourne au royaume des ombres.
Pourtant cc n'est pas ce que dit la transparente
Antigone, l'amie, l'hirondelle...
Le souvenir de la cloche stygienne
Brûle sur les lèvres ainsi que le gel noir.
Ossip Mandelstam Novembre 1920.
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