Un pavé dans la mare par Annaconte

Sevgadou s’interrogeait dans un de ses récents com ("Was ist das?" ) sur la difficulté de lire…telle ou telle œuvre, en l’occurrence La Condition Humaine de Malraux….Qu'il n’a pas réussi à lire complètement en dépit de sa bonne volonté. " Je crois donc, explique t-il- que certaines oeuvres sont dotées (involontairement) d'une charge d'énergie contraire ou pas à certaines personnalités." Cela m’a fait songer à une œuvre capitale du 20 ème siècle. « La Bible » des existentialistes L’Etre et le Néant, de Jean Paul Sartre « L'homme, étant condamné à être libre, porte le poids du monde tout entier sur ses épaules : il est responsable du monde et de lui-même en tant que manière d'être» « Jean-Paul Sartre (1905-1980) élabore cette somme d'« ontologie phénoménologique » qui paraît en 1943 sous le titre de L'Être et le Néant. Essai d'ontologie phénoménologique, donnant à l'existentialisme français son véritable départ. Avec ce livre, Sartre inaugure un style nouveau en philosophie : les analyses réflexives y deviennent inséparables d'exemples concrets (la « mauvaise foi » ne pourra plus être dissociée de la description du « garçon de café). » -Petite illustration par l'image : . " On joue au philosophe sur un forum, on joue au psy, Sartre lui-même devait jouer à l'intellectuel, à pondre des gros pavés de 700 pages avec des titres bien pompeux. La mauvaise foi, c'est l'être en soi qui me hante, c'est le poids terrible de la fixité qui me guette comme réponse à tout. " Je ne vais pas faire un résumé ni un commentaire sur Sartre et son œuvre. Ce n’est pas mon propos et je ne suis ici que profane. En bref ce livre est un Mo-nu-ment de la Pensée Philosophique. C’est ainsi qu’il nous est présentés par les « experts » et les Penseurs Contemporains : «Sartre a écrit ce livre, sorte de condensé des thèses présentées dans L'Etre et le néant, pour répondre aux critiques que l'on adressait à la philosophie existentialiste. Les uns disaient qu'elle plongeait les hommes dans le désespoir car elle enlevait tout sens au monde et à l'existence individuelle. Les autres disaient qu'en niant Dieu et les valeurs supérieures, elle conduisait à l'immoralité et à l'anarchie. Sartre lui, montre qu'il n'en est rien. L'existentialisme met avant tout l'accent sur la liberté humaine. Il ne dit pas que la vie n'a pas de sens, mais que l'individu seul peut lui en donner un. Ainsi, l'homme n'est plus soumis à des normes qui viennent de l'extérieur. Il peut s'inventer librement, en laissant les choix que la vie lui propose à chaque instant. » Certes, cela paraît passionnant et nous voulons bien adhérer. Or les critiques élogieuses sur le fond de l'ouvrage sont contrebalancées par des critiques sur la forme. Ainsi nous dit-on que « c'est un livre exaspérant, bien qu'original et fondateur. Exaspérant par les excès de technicité et la prolifération parfois tératologique (oups) d'un jargon exceptionnellement rébarbatif... » On rajoute qu’il s’agit là d’un ouvrage « touffu et parfois un peu étouffant, d'une virtuosité sans égale jusqu'alors et qui rompt avec les manières académiques de philosopher en France. » Et encore que dans ce livre « dense et parfois difficile, Jean-Paul Sartre se livre à un dialogue critique avec quelques-uns des philosophes les plus célèbres : G. W. F. Hegel, Edmund Husserl et Martin Heidegger. » oui dense et difficile ! de quoi vous décourager si par hasard vous aviez quelque velléité de vous pencher sur la question ! On vous rappelle même puisque l’on vous voit si intéressé, que « Sartre y expose les ruses de la conscience pour éviter l'angoisse de la prise de décision. Mais qu’ il expose aussi ici sa conception de l'Autre, son anthropologie - l'homme comme en-soi-pour-soi - et sa notion de liberté. » et voilà qu’on insiste encore une fois « c’est un ouvrage presque inaccessible mais pourtant incontournable. « En fait, si vous aimez la philosophie et les questions d'ordre existentielles, vous apprécierez sans doute Sartre. Cependant « accrochez-vous ! » on ne vous le répètera jamais assez ! « Il sera beaucoup pardonné à Jean-Paul Sartre, car s'il est contraint d'utiliser un tel jargon, c'est aussi parce que son sujet porte en lui la question des limites du langage. » Et si vous en doutez, tentez le ! Mais auparavant un petit dernier commentaire pour la route ! « Serai-je le seul à dire que le roi est tout nu? Il faut de l'aplomb pour parler de "l'être en-soi' et de "l'être pour-soi" sans même tenter de définir ces termes. » Ainsi donc, Sevgadou en est-t-il des plus grandes œuvres ! Elles ne sont pas toujours –comme on nous le fait accroire- à la portée de chacun. Il nous faut rester humble. Savoir insister si on veut vraiment comprendre. Savoir passer à autre chose* si nécessaire ! Pour preuve, cette conclusion de la très fameuse émission littéraire proposée par Bernard Pivot, il y a quelques années déjà, et dans laquelle l’Etre et le Néant fut un soir le thème: au bout de plus de soixante minutes de discussions et de témoignages , de citations et de rappels sur cette oeuvre magistrale, un pavé de plusieurs centaines de pages, Pivot s’adressa enfin aux protagonistes réunis sous les caméras et tous spécialistes émérites, Professeurs es-Sartre, biographes et autres critiques de l’œuvre, et se tournant vers ce très docte et savant aréopage de grands Esprits leur demanda simplement s’ils avaient lu l’ouvrage de Sartre en entier, et que ceux qui y étaient parvenus le disent là, en direct, sur le plateau de la télévision, afin que l’on puisse juger de leur mérite ! ( et sans doute de leur charge d' énergie comme dirait Sevgadou!) Aucun d’entre eux ne se manifesta. Aucun. Je vous l’assure ! Et Pivot prit cet air étonné et joueur qu’on lui connaissait bien, leva les bras au ciel et poussa un cri de satisfaction ! * Sartre qui n'était pas un mauvais bougre a pensé à tout ; il a résumé sa Pensée dans un petit opuscule intitulé L'Existentialisme est un Humanisme (1946) à l'adresse de ses détracteurs , c'est dire qu'il y en eut !!