Chère Mathilde,
Tu as pris les devants et tu m'as quitté, ne me laissant pour obole que ma galanterie proverbiale.
Tu m'as quitté !
Sans quoi, tu penses bien, je ne prendrais point la peine de t'écrire.
Et c'est le seul moyen qu'il me reste de t'atteindre ! Il faut donc que j'aiguise savamment ta curiosité pour te forcer à me lire.
C'est pourquoi, tu ne seras pas surprise, j'ai envoyé une copie de ce courrier par email à tous tes amis. Mais aussi à tous tes contacts facebook. Tu peux compter sur l'insénescence du web pour que l'annonce de notre rupture ne s'efface pas de sitôt !
Si d'aventure tu déchirais ma lettre, au bas de ton immeuble sur tous les réverbères tu trouveras des exemplaires qui attendent ton repentir. À ta hauteur, car tu n'es pas bien grande.
Tu m'as quitté ! Mais certainement, ton nouveau petit lapin râblé aux allures de fox terrier obscène et aux dents de hamster doit s'y connaître en galeries comme toi en irrumations. Tu aurais pu choisir une autre ville que Paris et ses catacombes pour t'abandonner au désir concupiscent d'un explorateur urbain. Garde-toi qu'il ne soit nécrophile.
"Il y a des gens qui vous laissent tomber un pot de fleurs sur la tête d'un cinquième étage et qui vous disent : Je vous offre des roses." (Victor Hugo, mais tu ne connais pas). Dans ton cinquième sous-sol fais attention aux chutes de chrysanthèmes. Pense enfin à cueillir quelques pissenlits qui en décoction pourraient te rendre aimable à la longue car ils ont un effet cholagogue.
Je regrette un peu tes enfants avec qui j'avais commencé à bien m'entendre, surtout le petit dernier qui ne te ressemblait pas. Non plus qu'à son père, d'ailleurs. Je me demande à présent si celui-ci en était conscient, et si ce n'est pas là la raison irréfragable de votre rupture ? Mais tu ne me le diras pas. C'est habile de ta part de choisir un géniteur sur le compte bancaire de ses parents, mais il faut insérer dans tes calculs un livret de famille et les lois de Mendel avant de te laisser chevaucher par n'importe qui.
Oh, j'y pense ! Vraiment tu n'as aucun soupçon de ce qui faisait aller tes enfants au lit avec des larmes ? Ce ne serait pas d'avoir toujours le même menu au repas du soir et de laisser éclater leur appréhension de voir leur assiette retirée avant qu'ils ne soient sustentés ?
Quatre et six ans, c'est l'âge où pour manger des spaghettis on joue à lascenseur avec une fourchette, et pour s'endormir on borde ses ours en peluche. C'est un peu jeune pour leur inculquer des manières d'un autre âge en les obligeant à utiliser la fourchette de la main gauche et le couteau de la droite. Et cela quand il n'y a même pas de viande cuite dans l'assiette.
Mais ce n'est pas mon affaire. Je n'ai jamais rien dit lorsqu'il y allait de mon intérêt, mais maintenant que je n'ai plus rien à perdre j'ai une pensée pour eux. Tu as bien remarqué que j'ai gardé le siège auto, comme ta petite taille te complexe, ton aventure fera long feu, car ta susceptibilité sera froissée d'être transportée sur la banquette arrière à la place des enfants pour prendre le petit sur tes genoux.
Voilà, je ne compte pas que tu me répondes car il faudrait avoir de l'esprit et savoir écrire, mais je ne doute pas que tu penses à moi très fort !
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