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Jour de Marché par Christensem

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Deux ou trois parasols qui font le gros dos devant le ciel gris Une tasse de café qui bave sur mon journal et des gens partout. Ma terrasse ressemble à un radeau qui surnage à la surface d'un troupeau de cabas, de mioches et de poireaux. Premier jour de ma nouvelle vie. Ce matin j'ai décrété que je ne dormirais plus seule ! Six mois que je tourne en roue-libre dans mon lit. Des semaines de draps froissés sans raison et des nuits dans le silence d'un sommier sans ressorts. Je déprime. C'est décidé ! Il me faut de l'aventure, de l'intrigue... Ras-le- bol de cette vie sans histoires. Marre de cette page trop souvent blanche. Il est temps de jeter l'encre. Fini de jouer les poulpes au fond de la piscine, je veux clapoter avec les autres! En poussant du bout de l'ongle une goutte de café sur la table, l'esquisse d'un énorme phallus en érection m'est apparue. Message subliminal de mon subconscient et premier signe d'un désordre profond dans le quotidien de mes hormones. Le type qui me fait face deux tables plus loin, n'a rien raté de mes divagations. Il me balance un sourire à mettre sur le dos une congrégation de bonnes sœurs. Je met bien trois bonnes minutes à réfléchir comment j'ai pu rater l'arrivée de ce mortel sur ma planète. Je maitrisais pourtant parfaitement les entrées sud et nord de la terrasse ! Le bleu de son regard respire les neiges éternelles. Une grosse bouffée de fraicheur mentholée me boursoufle le cœur. J'ai l'intuition qui trépigne, ce gars là doit tutoyer les cieux ! Sans doute un alpiniste ! Avec lui je suis certaine de donner une nouvelle résonance à mes orgasmes... Avec lui, je vais faire dévaler les derniers glaciers dans la vallée. Et bien avant la prédiction des sages. Ça va ribouldinguer de la vache en grelots et du mouton en pelotes jusqu'au centre ville. S'il me touche, je hurle, je yodle, je ioule d'allégresse jusqu'à ratatiner les tympans d'une nuée de marmottes . C'est mon homme. Il m'appartient déjà. Il a replongé son nez dans un bouquin. Sans doute un truc sur les mémoires d'un Herzog ou d'un Messner... Pas question de me coller des lunettes sur le nez pour en connaître le titre... Si j'ai la moindre chance de piéger ce maître des cimes ce sera sans elles ! Ce gars là n'aime probablement que les bâtisseurs de rêves... J'aurais bonne mine avec mon look de bourgeoise délicate. Avec un monstre pareil, faut glisser un piolet entre café et journal... Et porter ses crampons à l'épaule. Inspiré par sa lecture, il offre son profil à ma gourmandise... Ce mec est un monument... L'air grave, quasi impénétrable. Il me fascine. Il a de jolies pommettes. Très bientôt lorsqu'il s'éveillera j'y verrais imprimé la trame de mon polochon... Non... j'aimerais plutôt qu'il m'écrase le nez dans l'édredon. J'aime pas que la voisine m'entende quand je me fais sauter. Dommage pour moi, il m'a déjà zappé... Il est ailleurs... Loin d'ici... Quelque part il lutte sur une paroi. Ça se sent, ça se voit. Voyage de l'intérieur. Les traits de son visage sont forgés par la tourmente. Le grain de sa peau lissé par le froid. Bien calé au fond de ses mains, ce maudit bouquin m'agace les sens... De larges et puissantes mains. Belles comme des feuilles de platane. Elles ont probablement glissé leurs doigts dans les fissures des granits les plus vertigineux. Que ne ferais-je pour devenir ta muraille mon héros ! Tu verras, comme il est doux de rencontrer un peu de mon velours sous tes griffes ! Délicatement il tourne chaque page en mouillant furtivement le doigt. Cet effeuillage ne laisse pas indifférente mon inspiration. De ce froissement régulier monte une musique érotique et des frissons. J'envoie au diable les cageots de salades et les boniments du camelot et me voilà soudain seule. Envoutée, abandonnée sous ses caresses. Déroutant striptease qui suit la lente valse des pages. De volupté mes yeux se ferment. Je dois me raisonner pour ne pas sombrer dans l'extase. C'est le carillon du beffroi qui mitraille mes fantasmes. Déjà midi! Lui aussi a dressé l'oreille. Son sixième sens l'avertit d'un danger. Il me balance un coup d'œil en coin. Il se méfie. Une prédatrice... Il me prend probablement pour une prédatrice. Et soudain, son regard bleu sent la poudre . Un teigneux. Un teigneux solitaire... Ce mec me plait de plus en plus . Et je suis prête à le laisser cabosser ma fierté pour me l'accaparer... Tu voulais de l'aventure ma vieille ! Ben là tu vas rentrer dans l'histoire. Ce gars te fera faire le tour du monde sur les genoux et t'aimeras ça... Je te vois bien patauger dans son ombre. Même que tu dépériras, à force de l'attendre. Jusqu'au jour où t'apprendra qu'il grimpe la face nord du Kilimandjaro mais aussi la face caché de ta meilleure amie. Une toute maigre que t'auras rencontré au salon du livre d'aventure. Une sportive qui te refile toujours sa part de gâteau. Tu sais celle qui écrit si bien. Surtout lorsqu'elle raconte comment elle passe sa vie à cavaler sur les parois à main nue. Comme une mouche. Alors que toi, tu vomis ton quatre heure en grimpant sur la troisième marche d'un escabeau! Voilà, c'est déjà fini. Pendant mes délires il s'est détaché de moi. Cruellement. Sans même un regard . Je le pressentais déjà depuis un bon moment. D'un bout à l'autre du marché la foule grondait « Martine, ce type va te faire souffrir! » C'est fait. Je me reconstruirais. J'ai peut-être échappé au pire ! Si ça se trouve ce gars là trimbalait une mythomanie de première ! Qu'est-ce qu'un type comme lui peut bien foutre en plein milieu du pays plat ? Les premières montagnes à vaches sont à plus de 400 bornes ... ! j'ai débité mon journal en petits bouts de papier. Ils sont partis rejoindre les fruits gâtés et mes rêves pourris dans le caniveau. En payant l'addition le garçon m'a remis un livre ! Avec une numéro de téléphone au bas de la première page. C'était celui de mon Herzog. Mon cœur s'est mis à faire des galipettes au milieu des poussettes de lardons et des cageots de tomates. Mais ma joie s'effiloche déjà dans le roncier de mes doutes. Pas de sommets enneigés, pas de pitons rocheux dans ce curieux bouquin. Rien que des monuments, des tours Eiffel et des rafiots. Tout en allumettes ! Et ce titre étrange «Comment construire une gondole en 620 heures » Je me demande si ce type ne me mène pas en bateau. J'ai l'impression que je n'ai pas fini de souffrir. .

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