Il y a peu de temps j'écrivais à ma fille au cours d'un échange par courriel «je voudrai vous laisser à toi, à ton frère, et à tous les enfants du monde, l'espoir en héritage » *
Et me voici arrêtée mardi dernier comme par un fait exprès, au cours de ma dernière virée en librairie, par le plus récent écrit de Raoul Vaneigem : « Lettre à mes enfants et aux enfants du monde à venir » , paru début mars 2012 aux éditions du Cherche Midi. (Inévitablement, je l'ai ramené à la maison.)
Certains d'entre vous se souviennent peut-être du «Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations », issu de l'internationnale situationniste qui l'a fait connaître au prémices des années 68. Hé bien, Raoul Vaneigem est resté le même incorruptible penseur.
Par cette dernière brochure, car il s'agit tout juste d'un concentré d'une grande clarté, l'auteur reconsidère une fois de plus les grandes lignes de ce qui a été la pensée de toute une vie. Il y revisite l'ensemble du fonctionnement du système social et politique de notre civilisation en mal existentiel (dont nous sommes les victimes parfois inconscientes, parfois désespérées, parfois révoltées..) avec le brio et la lucidité qu'on lui connaît.
Il résume dans ce court développement, toutes les idées dont j'aimerai débattre ici, tout ce que je voudrai avoir le talent de dire, un petit livre qui synthétise l'essentiel de ma pensée sur ce qui me tient au cur. Et que j'aimerai moi aussi léguer à mes enfants.
Tomber là dessus dans cette étape de ma vie, c'est comme retrouver par miracle un vieux vêtement qu'on avait cru perdu et qui vous va soudain comme un gant.
Plutôt que de prendre le risque d'en dénaturer l'essence par maladresse, je prendrai celui d'extraire quelques citations de ce livre qui instille espoir et bonheur de vivre.
Mais ces petits extraits sont là juste à dessein d'éveiller en chacun le désir d'en entreprendre la lecture complète ...ils ne peuvent en aucun cas résumer la généreuse pensée de son auteur ni la pertinence de ses analyses.
«Une civilisation s'effondre, (..)Une nouvelle société sort peu à peu des brumes. »
« La culture est un lieu confiné, une prison conceptuelle qu'il faut ouvrir. Comment nous
émanciper de son caractère aliénant si ce n'est en libérant ce qu'elle encage dans sa
volonté de dominer ? »
« L'intellectuel est simplement celui qui fait primer l'intelligence de la tête sur l'intelligence
sensible du corps tout entier.( ..)
La pensée arrachée à la vie a l'ambition de régner sur elle. Originellement revêtue des
habits de la religion, elle s'est exhibée, dans sa modernité, sous les accoutrements
profanes de la philosophie et de l'idéologie. »
« L'exploitation de l'homme par l'homme a entravé le processus de dépassement
de l'animalité ».
« Comment n'a-t-on pas compris que le mouvement de refoulement et de défoulement,
provoqué par la transformation de la force de vie en force de travail, aboutissait au
triomphe d'une barbarie qui, du néolithique à nos jours, a réduit l'histoire à une longue
traînée de viscères sanguinolents ?
La pensée arrachée à la vie emporte avec elle des lambeaux, dont elle se nourrit. La
souffrance existentielle n'a pas d'autre origine. »
« L'homme du ressentiment jugerait-il l'Autre intolérable s'il n'y voyait le miroir reflétant
l'image trouble qu'il se fait de lui-même ? Il a besoin d'une malfaisance fabriquée pour
exorciser ses propres fantômes. Pour lui, l'important n'est pas de redouter la menace
intrusive de l'étranger, ni d'être convaincu de sa nuisance potentielle. Il veut qu'il en soit
ainsi afin que l'anathème jeté sur l'Autre le déleste de sa propre insignifiance. »
« Nous sommes les pionniers d'une société fondée sur la nouvelle alliance de l'homme
avec son corps, avec la terre, avec les éléments naturels et les espèces animales,végétales et minérales. Nous réinventons le temps. »
« Le délabrement planétaire et la disparition programmée des espèces, voilà le vrai
néant. Où passe la grande faucheuse du profit, l'herbe ne repousse pas. La dictature
financière ne prétend laisser à ceux qui rêvent d'ensemencement et de fertilité que les
stériles indignations du désespoir. »
« Mais quelle inconséquence que de nous en indigner alors qu'une occasion extraordinaire
nous est précisément offerte. Celle de nous immiscer dans la fissure qui se creuse
et s'accroît entre un capitalisme déclinant et la garde montante, résolue à le
supplanter ?
«La vie est pure gratuité. Elle se donne et n'exige rien en retour. Elle n'est pas seulement
incompatible avec l'économie, qui la réduit à la triste survie, elle est capable de nous en
libérer. »
« Cessons de mépriser notre capacité d'inventer une vie nouvelle. Tout est offert, rien
n'est dû, car il nous appartient de donner ce qui nous a été donné. Tel est le principe qui
fonde la générosité humaine.
En tant que vie économisée, la survie est assujettie aux lois de la marchandise. C'est
pourquoi le droit de survivre implique nécessairement des devoirs. La vie, en revanche,
ne connaît que des droits sans contrepartie. Sa souveraineté signifie la fin de la tyrannie
économique, la révocation de l'«avoir», qui tend la main pour recevoir la monnaie de sa
pièce.
L'être humain survit en nous dans l'attente de vivre enfin.
La révolution du genre humain n'est rien d'autre que la réconciliation de l'homme avec son devenir."
«Que la poésie de la vie soit notre arme absolue! Car elle captive sans capturer, donne
et ne s'approprie pas, propage une vocation du bonheur, qui révoque la nécessité de
tuer. »
« Alors qu'une civilisation, alliant développement technologique et sous-développement humain, agonise dans la boue et le sang, de nouvelles valeurs se font jour et se substituent aux anciennes.
J'ai été sensible à ce souffle nouveau qui stimule, non seulement chez mes enfants et mes petits-enfants, mais aussi chez un nombre croissant de jeunes gens une volonté d'instaurer de véritables valeurs humaines (solidarité, créativité, générosité, savoir, réinvention de l'amour, alliance avec la nature, attrait festif de la vie), en rupture avec les valeurs patriarcales (autorité, sacrifice, travail, culpabilité, servilité, clientélisme, contention et défoulement des émotions), essentiellement axées sur la prédation, l'argent, le pouvoir et cette séparation d'avec soi d'où procèdent la peur, la haine et le mépris de l'autre. »
*http://www.pointscommuns.com/meres-et-filles-commentaire-cinema-102086.html
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