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Mémère (3) par Milude

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Mémère est revenue de l'hôpital un jeudi. Le docteur dit qu’elle ne prend pas régulièrement ses comprimés contre le diabète et qu’il faut la surveiller. – Tu entends ? Regarde-moi quand je te parle ! ? Tu dois faire très attention quand tu lui prépares les médicaments, c’est toi qui as voulu t’en charger, alors je te fais confiance. Je ne comprends pas pourquoi Maman s'adresse à moi avec autant de solennité. Ça veut dire quelque chose qui me fait peur. Je sais que Maman attend que Mémère soit enfin morte, elle pourra vendre la petite maison. Maman attend les sous. Tous les dimanches, je compte les comprimés roses et jaunes, les petites pilules blanches, les petites pilules rouges, je casse les minces bâtonnets en deux, je répartis tout ça dans les sept petites réglettes, une par jour, de la "boîte à médecines" de Mémère. Chaque réglette est divisée en quatre casiers, matin, midi, soir, coucher. Je sais qu’elle en a assez, Mémère. Le jour où elle est revenue de l'hôpital, et qu’elle s’est retrouvée les fesses collées à son fauteuil, j'ai été lui dire bonjour, elle m’a dit : Pas de chance, ça n’a pas marché. Elle m’a dit aussi : Je me souviens de ta petite main fraîche sur ma joue, je t’entendais me parler, ça me faisait du bien, je n’avais pas peur et j’attendais que ce soit fini. Mémère dit : J'aimerais bien ranger mon tiroir. Son tiroir, c’est celui du haut de la commode où il y a «ses affaires» : des photos, des papiers, des vieux portefeuilles, des boîtes vides, ses relevés de banque, une grosse pochette avec une fermeture éclair où elle garde des grosses pièces de 10 francs en argent qui pèsent très lourd, une grande boîte en bois fermée à clé qui contient la paire de chaussons, le bonnet et une mèche de cheveux de son petit Lucien, mort à deux ans de la rougeole, qui était si gentil, qui mettait ses deux petits bras autour de son cou, qui se serait si bien occupé d’elle, s’il n’était pas mort. Je dis : Je ne peux pas rester, il est tard, il faut que je fasse mes devoirs, maman m'a dit de rentrer vite, je rangerai le tiroir samedi. Mémère dit : Toi aussi, tu m’abandonnes. Je retourne à la grande maison. Je donne des coups de pied dans la poussière. (A suivre)

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