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Maille à l'envers, Maille à l'endroit par Brian K

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Le milieu des années 70, sur la plage. Comment cela arrive si souvent, j’écoute les deux vieilles dames qui parlent en tricotant. Je les connais depuis toujours. L’une est d’ici, l’autre est une parisienne venue s’installer avec son mari retraité. Le bruit court qu’il a été garde du corps du général de Gaulle. C’est peut-vrai, qui sait. La seule chose qui compte vraiment est que je me trouve sur cette plage, à deux pas de la maison. Ce sont encore les temps reculés d’avant le disco et d’avant internet - et d'avant plein d'autres choses aussi. Comme je disais, les deux dames bavardent de tout et de rien, passant du coq à l’âne et tortillant les orteils. On entend le cliquetis insistant de deux paires d’aiguilles à tricoter. Lorsqu’elles ne trouvent plus rien à dire l’espace de quelques secondes, elles comptent leurs mailles à voix basse, d’un chuchotement que le bruit des vagues couvre à peine car c’est un après-midi sans vent. Une mer d’huile, comme on dit. - Vous n’avez pas trop chaud avec votre foulard sur la tête ? - Si, bien sûr. Mais je ne peux pas faire autrement. - Ah bon ? _ Après tout, je peux bien vous le raconter. C’est à cause de la nouvelle coiffeuse. Celle qui a ouvert au printemps à côté du fleuriste. Ses parents ont longtemps été mes voisins et je sentais bien qu’il fallait que je fasse un geste. Alors j’y suis allée, pour faire une bonne action. Je ne sais pas si ce sont les produits ou le sèche-cheveux, mais je suis sortie avec le crâne tout rouge. Et je ne vous parle pas des picotements. _ Alors vous ne retournerez pas, forcément. - Non, d’autant plus qu’elle m’a trop serré mes boucles. Pourtant, je lui avais dit : quelque chose d’un peu flou. Flou, ce n'est pas bien difficile à comprendre, non ? _ Tout de même, Anne-Aymone, quel drôle de prénom. Et je ne peux pas dire que je la trouve particulièrement sympathique. - Vous avez raison, elle a l’air pincé. Madame Pompidou était d’un style plus agréable. Et j’aimais bien aussi Madame de Gaulle. Elle n’avait l’air de rien mais justement, son côté effacé n’était pas déplaisant. - Georges Marchais me fait toujours autant rire, et pourtant, Dieu sait que je ne suis pas communiste. Comme je dis toujours à ces gens-là : le communisme, si c’est que vous voulez, tant mieux pour vous mais rien ne vous empêche de prendre un billet pour Moscou. Chez nous, franchement, non merci. - En tout cas, Raymond Barre, j’ai un peu de mal à m’y habituer. Je le trouve mou. Oui, c’est ça : pas antipathique mais mou. Chirac était plus dynamique. Un peu trop, même. Il paraît que le courant ne passait pas avec GIscard. Mais il présentait bien. _ Au fait, voilà que je me rappelle plus. A côté du fleuriste, chez votre coiffeuse justement, il y avait quoi avant ? - Rien du tout. Un logement. Mais jusque dans le milieu des années soixante, il y avait encore la droguerie. C’était bien pratique. Vous n’avez sans doute pas connu parce vous étiez encore à Paris. - Ah bon, une droguerie ? Ils ont fermé à cause de l’hypermarché qui a ouvert dans la zone ? - Pas du tout. Oh les pauvres, si vous saviez. C’est arrivé un lundi, le jour de la fermeture. La dame était partie faire des courses en ville. Quand elle est rentrée le soir figurez-vous qu’il y avait un mot écrit sur la porte de l’appartement : Ne rentre pas seule ce soir. Son mari s’était fait sauter la cervelle avec son pistolet. On a dit qu’il était malade. Ou qu’il buvait, je ne sais plus. - Et vous ne regrettez pas Paris ? - Pas du tout. C’était très bien pour la carrière de mon mari mais nous n’avons jamais vraiment beaucoup aimé la ville. J’aurais bien aimé la Côte d’Azur mais lui non, il trouve qu’il fait trop chaud. - Il a raison. Moi, quand je descends chez ma fille à Manosque, j’ai toujours un peu peur du temps. L’hiver le mistral me glace et l’été les cigales m’empêchent de faire la sieste. Ici aussi bien sûr qu’il y a du vent mais je ne sais pas comment dire. Ce n’est pas pareil. Même par grosse tempête ce n’est jamais déplaisant. D’ailleurs, en Provence, il y a beaucoup de gens de nos âges qui viennent passer quelques semaines en Bretagne pendant l’automne, pour respirer. Je les comprends. _ Je vous ai dit que nous avons la télé en couleurs ? - Non, mais maintenant je le sais. Nous aussi, nous l’avons. Depuis quelques mois. - Pour les films et les documentaires, c’est très bien. Le commandant Cousteau, maintenant c’est autre chose qu’en noir et blanc. Mais on ne peut pas dire que les programmes se soient beaucoup améliorés. - C’est toujours la même chose. Bis repetita, comme dirait mon mari. Par exemple, il y en a une qu’il ne peut plus supporter, c’est la pauvre Danièle Gilbert. Elle n’est pourtant pas bien dérangeante. - Le mien ne supporte pas Guy Lux. D’ailleurs il y a deux choses qu’il ne peut pas supporter : Guy Lux et que je passe l’aspirateur. Alors quand je veux avoir la paix, je sais quoi faire. - Oh non, ça durait depuis des années. Et sa femme le savait. Une maîtresse à trois-cent mètres de chez soi, quelle idée - ça ne passe pas longtemps inaperçu. - Et c’est arrivé comment ? - C’est elle qui l’a menacé de faire un scandale s’il ne divorçait pas. Alors il est allé la supplier un après-midi et elle, pas démontée pour un sou, elle lui a dit que c’était fini. Il paraît qu’elle n’a pas vu tout de suite parce qu’elle était dans le fond du jardin, et c’est en rentrant qu’elle l’a trouvé dans la cage d’escalier. - C’est vrai qu’elle a téléphoné à sa femme ? - Oui, parfaitement. Elle lui a dit tu ferais bien d’appeler les pompiers, ton imbécile de mari s’est pendu chez moi et je ne bougerai certainement pas le petit doigt pour le décrocher. - A propos d’aspirateur, c’est Madame Gautier là-bas ? - Oui, mal attifée comme ça il n’y a qu’elle. Mais quel rapport avec l’aspirateur ? - Figurez-vous que c’est une maniaque de la propreté. Elle javellise son garage tous les jours, par peur des microbes. Et vous savez ce qu’elle et son mari font tout l’été ? Tenez-vous bien : ils vont prendre leur douche au camping municipal, pour ne pas avoir à salir leur salle de bain. - C’est vrai ce qu’on dit ? Que son mari a une perruque ? - C’est tellement vrai que je peux vous le jurer : j’étais en train d’acheter mes huîtres le jour où elle s’est envolée en plein marché. Elle a volé à quatre mètres. On ne devrait pas rire des ces choses-là, mais on peut pas s’en empêcher.

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