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Albâtre pour les bellâtres par Jules Félix

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L’émission médicale de Michel Cymes et de Marina Carrère-d’Encausse, "Le Magazine de la santé", qui est diffusée tous les jours après le déjeuner sur France 5, est suivie par de nombreux petits vieux. En particulier, par Germaine et Ernest. Mais le dimanche, il n’y a pas d’émission. Qu’importe. Car il y a parfois bien mieux. Dimanche 22 avril, pour certains, pour beaucoup de monde, c’était une journée électorale. Premier tour. C’est important, une présidentielle. Crucial même. Ce l’était aussi chez Germaine et Ernest. Mais pour Germaine et Ernest, il y avait encore bien plus important. Leur gendre les avait invités dans sa maison avec tous les enfants et neveux. On pourrait presque dire que c’était prévu depuis longtemps, depuis des décennies. Mais peut-on vraiment prévoir ceci ? Car Germaine et Ernest sont des gens civilisés, ils forment un couple on ne peut plus officiel. D’ailleurs, convictions religieuses ou petit-bourgeoisisme de province, ils ne supportent pas trop les couples non mariés. « Cela ne se fait pas » ont-ils encore cela dans la tête. Enfin, je parle surtout de Germaine, car l’Ernest, lui, avec sa bonne humeur, est prêt à toutes les concessions pour la paix des âmes. Avant, il y a une génération, ils n’invitaient dans les fêtes familiales les conjoints que s’ils étaient dûment mariés, ou alors en instance. Ils sont pour la liberté mais pas celle de l’union. Maintenant, ils ont bien dû mettre beaucoup d’eau dans leur vin, parce que leurs petits-enfants représentent bien la société actuelle, avec ces couples non mariés ou ces familles recomposées, des enfants pas issus des mêmes doubles parents, des demi-frères etc. La fête de ce dimanche-là, c’était justement pour fêter leur couple. Soixante-quinze ans de mariage ! Les noces d’albâtre. Tout le monde ne pourra pas en faire autant, je le sens bien, autour de moi. Soixante-quinze ans de mariage. Cela fait remonter avant la guerre. La Seconde, il ne faut pas exagérer. Quelques mois après le Front populaire. N’en parlons pas, la perspective d’une nouvelle victoire de la gauche, après Blum, Mollet, Mitterrand et Jospin, cela les rendrait malade s’ils n’étaient pas entourés d’affection. Ernest, j’en avais un peu parlé il y a quelques temps, va tranquillement sur son siècle. Il avait reçu sa quatre-vingt-dix-neuvième bougie le mois d’avant. Il n’a pas bougé en trente ans. Un peu ankylosé mais il fait sa gymnastique tous les jours et le moral tient merveilleusement. Germaine, elle, attend encore trois mois avant de franchir le cap des quatre-vingt-dix-sept bougies. Les nombres-là sont pharamineux. Atteindre à eux deux cent quatre-vingt-seize ans, dont cent cinquante années communes, qui dit mieux ? Ils attendent toujours la descendance dans la cinquième génération, arrière-arrière-petits-enfants. Techniquement, ce serait possible, il y a même les deux géniteurs candidats, mais vous comprenez, il faut attendre un peu, en cette période de difficulté, de crise économique, la fin des études, un boulot stable, au moins pour l’un, un logement correct etc. Alors, il faudra peut-être encore attendre cinq ans, dix ans, ça va être dur… L’âge moyen pour mettre au monde la première fois est, il me semble, passé à vingt-huit ans. C’est très vieux, n’est-ce pas ? Sauront-ils attendre si loin ? Parmi les convives de cette fête dominicale, il y avait la sœur. Celle de Germaine. Je vous en avais déjà beaucoup parlé aussi, d’elle, de Lucienne. C’est une petite sœur. Elle n’a que quatre-vingt-quinze ans, elle. Elle était en très grande forme pour la fête pascale. Elle s’est certes desséchée, elle commence enfin à ressembler à sa mère, qui est pourtant partie à quatre-vingt-douze ans : des yeux très profondément enfoncés, une peau sèche, un corps tout frêle, des os en cristal. On dirait qu’elle revit, la Lucienne. Depuis quelques semaines, c’est une nouvelle jeunesse. Elle accepte son appareil auditif, ses lunettes, ses soins dentaires, elle a même apprécié le dentiste, c’est dire, alors que la précédente fois, il était recouvert de tous les maux de la Terre. Il faut dire que vers les quatre-vingts ans, elle avait refusé tout soin, tout frais inutile, tu penses bien, pour le temps qu’il me reste à vivre, ça ne sert plus à rien… Oui, mais voilà que le temps qui lui reste, il s’est étiré comme pas possible, même après son début de veuvage, alors elle se dit que pour cinq ans, dix ans encore, cela peut valoir le coup de mieux entendre, mieux voir, mieux manger. Bon, c’est vrai que l’haleine fétide caractéristique chez les personnes âgées domine à plein l’aspect olfactif, mais c’est tout. La machine tourne toute seule et bien, la mémoire, les réflexions, les pensées, l’expression, et même l’humour, oui, l’humour, qui est un bon test pour le second degré, pour la compréhension nuancée, abstraite, sophistiquée, surtout lorsqu’on en émet, de l’humour, pas seulement quand on le réceptionne… La prochaine fois, je vous parlerai de moins vieux qu’eux, de moins vieux de ces trois-là. La sœur commune aux deux dames, là, car elles ont une petite sœur, bien plus jeune, seulement quatre-vingt-quatre ans. Eh bien, cette sœur-là aussi a toute une histoire. Elle s’appelle Louisette. Peut-être un jour… Précédents épisodes : http://www.pointscommuns.com/lire_commentaire.php?flag=L&id=83200 http://www.pointscommuns.com/les-vieux-commentaire-musique-97965.html http://www.pointscommuns.com/leon-commentaire-cinema-101839.html http://www.pointscommuns.com/c-commentaire-medias-101901.html http://www.pointscommuns.com/lire_commentaire.php?flag=L&id=102183

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