La petite référence à Bourdieu « la sociologie est un sport de combat » a dû y être pour quelque chose pour avoir acheté dans ma librairie de quartier le livre de Bertrand Guillot "Le métro est un sport collectif". Un délice !
Quelle joie, quelle jalousie aussi de lire ce que j'aurais aimé pouvoir écrire depuis longtemps, mais... comme tant d'autres choses qui sont à l'état de bouts de papier griffonnés. Depuis tant d'années que j'habite Paris, je prends le métro et le tramway qui relie Noisy le sec à Saint Denis. Je découvre dans les transports une satisfaction que je partage avec très peu de monde, pourtant, pour moi une journée sans lien social dans les transports est une journée presque ratée.
Mais qu'est-ce qui m'anime à vouloir à tout prix rendre cet espace convivial ? Un exercice sur ma timidité ? Un côté Zorro ou Amélie Poulain, ou encore un côté charitable, ou égocentrique ? Rien ne me plait, alors je cherche une autre alternative et je crois que Guillot l'a trouvée. C'est ce goût de l'humanité bon sang ! Le goût de ne pas désespérer, de se laisser surprendre, d'accueillir des sourires, des regards, de mettre fin à tout a priori, de voir qu'on peut gagner sur l'autre avec un minimum de diplomatie, de charisme, de pédagogie.
Parfois, il se pourrait que c'est le geste gratuit militant qui me motive (taguer une publicité sexiste par exemple), ou semer la remise en cause dans les têtes d'usagers qui s'entendent dans un wagon entier sur le racisme anti-roms, par exemple, mais pas seulement. Bien sûr que pragmatiquement ça ne sert à rien ! Ça n'est que de l'ardeur : mot que j'emprunte volontiers à Christiane Faure, créatrice de l'éducation populaire, entendue dans la magnifique conférence gesticulée de Franck Lepage : « L'éducation populaire, Monsieur, ils n'en ont pas voulu ».(à voir dans mes liens video).
L'impression aussi d'un tel cadeau de pouvoir observer sans autorisation préalable ces visages qui s'offrent involontairement à mon regard. C'est ainsi que je déteste l'expression « ce long serpent qui vomit des passagers... ». Ces passagers, ils ont tous une histoire, et parfois ils me la racontent un peu, parfois malgré eux, quand je suis attentive. "A qui sait regarder tout être se confie" chante si bien Véronique Pestel.
Il m'arrive de donner de l'argent (très peu) à un musicien ou à un mendiant sympathique, en me disant que mon geste décomplexera peut être ceux qui n'osent pas ou ceux qui ont juste la flemme. C'est fou comme majoritairement les humains ont horreur de se faire remarquer.
J'écoute les conversations, ou je m'efforce de me rendre sourde aux communications téléphoniques dépourvues de pudeur, j'essaie de faire bouger les lignes d'un micron, et je réhabilite le parisien fatigué au regard malveillant de certains provinciaux qui les trouvent bougons. Vous avez remarqué que les non-parisiens disent tous : « les parigo font tous la gueule ». Sans blague ? Les provinciaux se tapent sur le ventre quand ils sont dans leur pensée ? dans les embouteillages ? Leur livre ? Leurs soucis ? Leur boulot ?
J'aime ce regard plein de tolérance, de curiosité et d'humanité que Guillot a sur mes camarades de jeu qui prennent les transports !
Cher usager optimiste, sous mon bonnet, il y a des dizaines d'anecdotes qui se bousculent. Si ça vous tente de partager ça avec moi !
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