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Allo Maman Vélo par Brian K

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Je vais sans doute passer pour un emmerdeur aigri et réactionnaire, incapable de comprendre le plaisir simple qu’il y a faire des choses plaisantes et agréables. On me l’a d’ailleurs dit un jour sur un forum, un de ces freluquets comme on en voit dans les festivals de théâtre et qui ensuite vous soulent en répétant cent fois j’y étais, c’était bon, et j’ai tout particulièrement apprécié…. Dans son bac à sable, je l’ai renvoyé. Parce que ses propos étaient de ce niveau-là. Mais ce n’est pas de théâtre que je veux parler. Mais de l’art de rouler en ville à bicyclette, plus précisément à Berlin puisque c’est ici que je vis. Si j’habitais aux Pays-Bas, j’imagine que je n’éprouverais pas l’agacement qui me bouffe ici un peu plus chaque jour. Les hollandais sont des êtres paisibles, qui apprennent pour ainsi dire à pédaler dans le ventre de leur mère. Adolescents ou adultes, ils continuent ensuite à pédaler sans agressivité, le plus naturellement du monde puisqu’il s’agit là pour eux d’un mode de déplacement naturel. Tout se passe en bonne harmonie entre deux- et quatre-roues, et le piéton trouve sans difficulté sa place dans cette innocente circulation. Dans une ville de barbares et d’excités, il en va tout autrement. Je me sens même certains jours pousser de grandissantes envies de meurtre en observant le spectacle de la rue, et il ne fait désormais plus guère de doute qu’un jour une grande gifle partira. Rouler en deux-roues à Berlin n’est pas une occupation anodine. C’est au contraire un geste politique, une affirmation de soi d’une importante portée symbolique. Le cycliste d’ici ne sourit jamais, même lorsque la brise de juin vient doucement fouetter ses bras. La brise, ce n’est pas une chose importante. C’est une futilité méprisable. Ici, il est toujours question d’engagement. Le cycliste est être éco-conscient qui s’affirme, qui démontre, qui entend être vu. C’est un peu comme la dame qui fait ses courses au marché bio, qui elle aussi ne sourit jamais lorsqu’elle achète ses haricots certifiés sans pesticides. Cette dame-là, voyez-vous, est en train de sauver le monde, la planète. Il ne lui viendra jamais à l’idée de penser qu’une bottes de radis, c’est joli. Cela aussi, futilité. Seule compte pour elle la virginité du radis, sa conformité, et la croisade qu’elle mène en faisant ses emplettes mérite une grande rigidité d’attitude. Car on ne plaisante pas lorsqu’on est investi d’une sainte mission. Pour résumer, le cycliste éco-conscient se reconnaît à sa posture exemplaire et à son air constipé. L’autre espèce, la pire, la plus déconnante dans son comportement, est celle du deux-roues qui fait chier tout le monde, parce que pour lui, tout le monde, c’est de la merde. Sa bicyclette à lui, souvent pourrie entre parenthèses, est un autre genre de cheval de croisade. C’est une bicyclette qui fait de la politique à un haut niveau. A un niveau que tout le monde ne peut pas comprendre, sauf lui. Et comme il se sent au dessus de tout le monde, il ne va que dans des bars où la bière est uniquement servie en bouteilles, car la bière pression, justement, c’est pour tout le monde, et il tient par-dessus tout à éviter à être mainstream. Les feux rouges ? Evidemment qu’il les brûle, aussi souvent qu’il peut, car les feux rouges sont de bourgeoises installations servant les profits du capitalisme en permettant la fluidité d’acheminement des biens et des marchandises. D’ailleurs, les automobilistes aussi sont tous d’affreux bourgeois qu’il convient de mépriser, de même que les gens qui roulent en taxis. Il y a aussi les imbéciles utilisent les transports en commun, et il est donc on ne peut plus normal de rouler sur les voies réservées aux bus, parce que dans les bus, comprenez bien, il n’y que des crétins qui paient leur abonnement tous les mois - tu comprends, le bus, le métro, ça devrait être gratuit. Un exemple précis ? Il y un an, un vendredi soir où je prenais mon service à 21 heures. Petit bavardage avec ma collègue Brigitte, qui vient de fêter ses soixante ans, et terminait le sien. Elle était heureuse, parce qu’encore quatre jours et c’étaient ses vacances. Ses Vacances ? Vers minuit, elle m’a appelé de l’hôpital, d’une voix éteinte. On la gardait pour la nuit en observation pour voir si les contusions dont elle était couverte ne cachaient rien de plus grave. Le plus choquant pour elle, c’était que le cycliste qui l’avait renversée ait pris la fuite, sans même se retourner. Comme si elle n’était rien. Ses vacances ? Les bleus ont mis trois semaines à s’effacer. Des douleurs, de la fatigue, un abattement moral. C’était surtout la jambe gauche qui lui faisait mal, celle qui était la plus abimée. Elle ne se savait pas encore qu’un caillot de sang s’était formé. Ni que la thrombose couvait. L’embolie pulmonaire s’est déclarée deux jours après son retour à Berlin. L’opération a pu être évitée de justesse, mais Brigitte est restée un mois hospitalisée. C’était début juin, elle n’a pu recommencer à travailler qu’en décembre. Elle va bien, dans l’ensemble, mais tout ce qu’elle faisait autrefois facilement lui demande encore aujourd’hui deux fois plus d’efforts qu’auparavant.

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