Cest la première fois que je vais chez Jérémy. Il mavait invité à déjeuner mais jai refusé. Donc il ma proposé de venir en début daprès-midi. « Tu prendras le café avec nous. »
Moi ce qui mintéresse, cest de le voir avec ses parents, de le voir chez lui, de connaître sa famille. Il a dit quaprès le café on jouerait à des jeux de société. Je connais aucun jeu de société mais ça fait rien. Je connais rien de ce monde de bourges mais Jérémy je le kif.
Chez moi on passe pas laprès-midi avec les parents, sauf si on regarde un match à la télé, chez moi on prend pas le café ni le pousse café, on invite pas les copains, les copains ils viennent quand ils veulent, les copains ils viennent direct dans ma chambre et on se met à lordinateur.
Jai beau remonter ma mécanique anti bourge, quand jarrive chez lui jen mène pas large. Heureusement cest sa mère qui vient mouvrir. Sinon jaurais eu lair de quoi avec mon bouquet ? « Quil est beau, il est trop beau ! » et elle me claque deux gros baisers bien sonores suivis de deux bisous tout doux. Je me sens brûlant autour des yeux ... elle parle du bouquet ou de ma gueule dange ? Temballe pas, que je me dis, cest pas la mère que tu viens voir, cest le fils, Jérémy, ton nouveau pote. Drôlement bien roulée, quel châssis et pendant les bisous javais déjà le souvenir de deux nibards des plus accueillants. Elle me débarrasse "donnez, donnez, cest magnifique, cest trop vraiment
" Elle me vouvoie. La douche. Tant mieux, le sang me montait à la tête.
Elle mentraine au salon. Rien que leur salon est plus grand que tout notre appartement. On dirait même quil y a plusieurs salons, il y a des statues, deux bars et le fameux home-cinéma.
Ce doit être le père, dans un fauteuil si profond que mon petit frère pourrait y dormir facile. Sur la table basse un plateau chargé de tasses, de verres et de divers récipients contenant des trucs qui se mangent. Pas de bière, pas de coca.
Je prends mon air civilisé et je mavance en douceur, comme dans un rêve, mes pieds senfoncent dans la moquette et moi je menfonce dans mes idées de rebelle flamboyant.
Jérémy est assis sur le rebord de la cheminée. Même pas un petit salut. Il caresse un chien majestueusement allongé à ses pieds. Heureusement que jai refusé de déjeuner, jaurais pas tenu le choc, jaurais pété les plombs. Cest pourtant bien lui, Jérémy, mon nouveau pote.
Au collège, je le verrai toujours, trônant dans son salon, caressant son chien sans lever les yeux, et sa mère, je la verrai toujours, carrossée denfer, la vraie bombe, et le mobilier design, et le vase en cristal pour accueillir mon modeste bouquet.
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