Le matin elle était debout la première. Sortait avant même le lever du jour et senthousiasmait devant ce magnifique paysage, ces champs qui sétiraient comme des lignes tirées bien droites, à rejoindre le ciel tout au fond. Des oiseaux traversaient le ciel en criant. La lumière blanche de laube prenait lentement des teintes dor, et de la terre montait une brume qui sentortillait autour des arbres
il y avait de la beauté là-dedans. Elle sen emplissait tout entière.
Pourtant quand elle pénétrait dans la maison encore endormie, elle se cognait à la porte, émettait un juron puis soudain agacée, furetait dans le placard en quête de café, de sucre, sans trouver la cafetière qui avait été mise ailleurs, là où lon ne la mettait jamais dhabitude, balayait rageusement des miettes qui trainaient sur le sol taché, remuait des chaises pour faire du bruit, tapait à la salle de bains qui était occupée, ouvrait des volets en les faisant claquer sur le mur comme exprès, pour réveiller les derniers qui dormaient encore, criant que le déjeuner était servi, que le café allait être froid sils tardaient encore, et que de toutes façons sils comptaient partir à lheure il fallait quils se dépêchent car sinon ils allaient manquer leur bus.
Elle ne supportait pas dattendre. Que tout le monde soit là. Il fallait que tout le monde soit là, à lheure, en même temps. Il était hors de question de faire plusieurs services de tasses, de tartines. Ils auraient su se débrouiller tout seuls, nest-ce pas, mais non, elle tenait à servir, à organiser ce premier repas de la journée, elle seule savait où étaient les choses, et où les ranger ensuite après la vaisselle.
Elle secouait les retardataires, les poussait hors du lit en les invectivant, sans égard pour les morceaux de sommeil quils avaient encore collés au bord des yeux ! « Vite, allons, vite ! il est lheure ! dépêchez-vous ! ». Il fallait se lever, passer sous la douche en vitesse, prendre garde à économiser leau chaude, replacer le savon, ôter les cheveux et rincer le bac, accrocher les serviettes là où lon doit les suspendre, et laisser la fenêtre entrebaillée contre lhumidité. Le café allait être froid, bon sang, tout était prêt depuis une heure, fallait sactiver ! Elle navait pas que cela à faire, elle, à les attendre !
Elle se croyait importante. Nécessaire. Indispensable. Il fallait que les choses aillent comme elle le voulait. Que le temps prévu pour chaque chose soit respecté. Que la bonne marche de la journée aussi. Il fallait obtempérer, exécuter ses consignes. Après le déjeuner, elle aurait encore à décider du repas de midi. Elle interrogerait tout le monde pour connaître les préférences, puis finirait par choisir elle-même, pour aller plus vite, parce que si elle devait composer avec les goûts et les dégoûts de chacun cela nen finirait pas ! Elle irait elle-même chercher les pommes de terre dans la remise, au fond de la cour, il fallait traverser deux couloirs et un abri avant dy accéder et tous se demandaient pourquoi les tenir si loin ces patates, alors quil y avait de la place dans larrière cuisine, à côté du frigo, et quelle se donnait du mal et de la fatigue pour rien mais bon, que voulez-vous, y a des gens comme ça qui adorent se compliquer lexistence, alors que par ailleurs ils jouent à paraître organisés !!!
Cétait son paradoxe. Elle voulait se croire elle se croyait- forte, capable de tout gérer. Elle se sentait capable. Il fallait quelle dirige. Que les autres suivent. Cétait pour leur bien. Eux ne savaient pas. Elle avait lhabitude et savait gérer. Cétait son métier autrefois la gestion, lintendance. Elle croyait quelle avait toutes les recettes, elle tenait toutes les ficelles
.Elle se sentait toute-puissante et elle avait toujours raison. En plus cétait souvent vrai. Même si ça les énervait les autres ! Elle prévoyait même lavenir parfois ! Une sorte de sorcière en somme
.Elle attirait le malheur en le convoquant, « attention vous allez tomber ! » « attention ce verre vous allez le casser ! » , le seul fait de le dire et lincident se produisait
.cela perturbait tout le monde. On finissait par la détester ! elle portait malheur, on faisait tout pour échapper à son emprise. Il arrivait même quon lui mente pour éviter des drames
.Elle détestait les mensonges.
Elle disait que cétait important la vérité, les choses en ordre. Elle ne négligeait rien. Elle respectait les choses avant même que de respecter les personnes
Il fallait prendre soin des choses. Faire très attention. La vie ne simprovise pas.
Elle faisait peur. Elle surprenait tout le monde avec ses cris et ses injonctions ! Elle ne supportait pas de voir les gens assis ou vautrés sur un canapé, elle les dérangeait constamment « lève tes jambes, je passe le balai ! » « viens jai besoin que tu maides »
» Où est donc la cafetière ??? » ..Vite, vite, fallait faire vite !
Même du fond de son lit, chacun sursautait quand elle appelait. Un volet qui battait, un drôle de bruit, un objet égaré, une course à faire en urgence, cela ne pouvait pas attendre, elle menaçait sans arrêt et obligeait chacun à lever son derrière de la chaise et à sy coller ! Il fallait se précipiter ! courir ! tout laisser en plan pour elle ! Etre à son service, corvéable à merci.
Elle était épuisante.
Parfaitement anxiogène
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Moi, javais trouvé la solution. Je ne me précipitais jamais. Je répondais « oui jarrive, » poliment, dune petite voix suave et tranquille. « je préfère boire mon café un peu plus tard » « je termine une chose importante »
Elle nosait pas insister. Elle devait savoir que je serais sa digne représentante en matière dordre et de tempérament. Je finis même par avoir sa préférence. Je crois. Car jamais elle ne le montra. Simplement elle me gardait toujours la plus grosse tartine. Même si jarrivais la dernière
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