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Sisyphe, capitaine de pédalo par Jules Félix

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Le directeur très apprécié de sciences po a été retrouvé mort et nu dans sa chambre d’hôtel à New York le mardi 3 avril 2012. Il était en séminaire universitaire et avait raté un rendez-vous. Ce n’était pas le Sofitel mais les médias américains n’ont pas hésité à faire le parallèle avec l’affaire DSK, en particulier en rappelant par exemple que les deux épouses sont membres du même conseil d’administration de la Fondation américaine de sciences po. La première autopsie n'avait donné aucun résultat. Une seconde autopsie a pu (enfin) déterminer ce mercredi 30 mai 2012 (presque deux mois après !) que Richard Descoings était mort d'une crise cardiaque : « Nous sommes arrivés à une conclusion sur les raisons de sa mort, il est mort de causes naturelles, d'une crise cardiaque », a indiqué la porte-parole du médecin légiste Ellen Borakov. Je ne savais pas que les médecins légistes américains avaient des porte-parole. Ce petit mystère (car on ne sait toujours pas vraiment dans quelles conditions l’homme de cinquante-trois ans est mort) m’a fait réfléchir sur le choix des études quand on termine la scolarité du secondaire. Et grosso modo, même s’il y a bien plus de diversités, le choix se résume entre études de droit et études scientifiques. Je pourrais mettre dans le droit toutes les sciences humaines, la sociologie, les lettres, la politique, l’histoire, l’économie, le commercial, etc. alors que les études scientifiques sont relativement bien définies : biologie, médecine, physique, chimie, technologie, environnement etc. En poussant loin la caricature, on pourrait presque dire que le choix se résumerait entre normale sup et X mais c’est faux puisqu’on peut faire des sciences dures et des sciences humaines dans ces deux établissements, ou encore sciences po et X, c’est peut-être le choix au sommet du mérite républicain ? L’un des critères peut être le rapport entre le travail à fournir pour obtenir un diplôme et le salaire d’embauche à la sortie des études ou l’évolution possible des carrières ou encore le taux de chômage des jeunes diplômés. C’est vrai, à quoi cela servirait-il de passer du temps et du labeur pour gagner peu ? Ce serait un mauvais investissement. À ce compte-là, les écoles de commerce gagneraient haut la main le choix des étudiants. Mais tout le monde n’a pas forcément la réussite matérielle dans la tête. En tout cas, jeune. Un autre critère, c’est la capacité à apprendre. On apprend évidemment mieux jeune qu’âgé. C’est possible, âgé, mais c’est plus dur. Toute personne ayant dépassé l’âge des études peut le confirmer : concentration, réactivité, dynamisme cérébral décroissent un peu avec le temps (hélas). Dans ce pari, il est plus facile d’apprendre les sciences jeune et le droit moins jeune que l’inverse. Parce que les intégrales, les équations, les concepts hyper-abstraits que nécessitent les connaissances scientifiques sont plus facilement digestibles lorsque l’esprit est souple et que l’apprenti est aidé. L’acquisition d’une connaissance plus humaine est en revanche plus compréhensible avec la maturité venant. Il y a aussi un troisième critère. Camus n’a pas hésité à insister sur l’absurdité de la vie, des vies, mais on pourrait peut-être dire qu’il y a des vies plus absurdes que d’autres. Ou moins. Or, que signifient les études scientifiques ? Essayer de comprendre un peu les lois de la nature. Avoir une idée de ce qu’un grand horloger, ou une divine providence, ou tout autre chose (le hasard par exemple), a tenté d’imposer aux humains, à la Terre, à l’univers, aux atomes. Après la mort, cette connaissance du monde restera absurde. Mais on aura tenté de le comprendre un peu, durant sa courte existence. À l’opposé, apprendre le droit, apprendre la politique, les lettres, l’histoire, l’économie, etc., c’est apprendre ce que l’humain a fait chez lui, ses propres règles. Mais quelles règles ? Des règles pour vivre ensemble surtout. Très arbitraires. Avec une logique sociale mais plaquée sur la planète de manière très artificielle. Quand on meurt, on s’en moque du vivre ensemble. Ce n’est qu’un jeu. D’ailleurs, les règles changent sans arrêt, il suffit de demander aux responsables des paies ce qu’ils en pensent. Les acariens peuvent-ils comprendre l’intérêt de nouvelles règles comptables ? C’est du pédalage de Sisyphe. Un dieu du pédalo dans la semoule. Un roi, un capitaine ! Du coup, j’ai l’intuition qu’il y a une nette différence entre ces deux types d’études. L’un est pour s’insérer entièrement dans la société, pour y jouer un rôle, mais somme toute très éphémère voire dérisoire ; l’autre, c’est pour comprendre un monde incompréhensible, de manière toujours insatisfaisante et que la mort ponctuera par un nouveau point d’interrogation. On a le droit de préférer une absurdité à une autre. On a le choix de préférer l’une à l’autre. Et certains ont même choisi ces deux voies, dans leurs brillantes études, comme George Steiner, philosophe et écrivain très réputé (toujours vivant, quatre-vingt-trois ans, né le 23 avril 1929) qui a côtoyé les plus grands physiciens (dont Oppeheimer, Einstein et Bohr). Il était l'invité de France Culture le 4 avril 2012 dans la soirée, dans l'émission "Hors-champs" de Laure Adler, et sa parole est ...d'or ! En fait, il était invité pendant toute la semaine, du 2 au 6 avril 2012 : http://www.franceculture.fr/personne-george-steiner-0 D'autres citations : « J'ai essayé de passer ma vie à comprendre pourquoi la haute culture n'a pas pu enrayer la barbarie. » « J'ai eu de la chance avec mes professeurs. Ils m'ont laissé persuadé que, sous sa forme la plus haute, la relation de maître à élève est une allégorie en acte de l'amour désintéressé. »

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