Lyrisme, substantif, masculin : dérèglement chronique de la hiérarchie interne dun individu, qui se manifeste périodiquement chez celui qui en est atteint par un besoin irrésistible, dit « inspiration », de proférer des discours inutiles et cadencés.
« On attend dabord que se produise un état de malaise particulier, qui est la première phase de linspiration, dite « vague-à-lâme ».
On peut parfois aider ce malaise à se déclarer en mangeant trop, ou pas assez ; ou bien on prie un camarade de vous insulter grossièrement en public et lon senfuit en se répétant intérieurement ce que lon aurait fait si lon avait été plus courageux ; ou bien on se laisse tromper par sa femme ; ou lon perd son portefeuille, toujours sans se permettre davoir des réactions normales et utilitaires. Les procédés varient à linfini.
« Alors on senferme dans sa chambre, on se prend la tête à deux mains et lon commence à beugler jusquà ce que, à force de beugler, un mot vous vienne à la gorge.
On lexpectore et on le met par écrit.
Si cest un substantif, on recommence à beugler jusquà ce que vienne un adjectif ou un verbe, puis un attribut ou un complément, et ainsi de suite, mais dailleurs tout cela se fait de façon instinctive.
Surtout ne pas penser à ce quon veut dire, ou, mieux encore, ne rien vouloir dire, mais laisser se dire par vous ce qui veut se dire.
Nous appelons cela le délire poétique, qui est la deuxième phase de linspiration, et dont la durée est très variable.
« La troisième phase est la plus difficile , mais elle nest absolument pas nécessaire.
Cest celle où lon reprend ce que lon a écrit pour en supprimer ou modifier tout ce qui risquerait doffrir un sens trop clair et tout ce qui ressemble plus ou moins à ce que dautres ont déjà publié.
A cause des mouvements respiratoires auxquels on sest astreint au moment du délire poétique, les mots que lon aligne possèdent tout naturellement une cadence qui leur donne droit au titre de « poésie »
Vous voulez un exemple ?
-Non, merci, dit linfirmier.
Et il mentraîna tandis que le gros homme tirait quand même de sa poche un épais manuscrit et se mettait à lire aux anges.
René Daumal - La Grande Beuverie - Paradis artificiels II.17
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