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Portrait plutonien par Brian von Roberts

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Il fit réchauffer un fond de café, l’équivalent d’une demi-tasse, car cette boisson-là, à condition d’être servie très sucrée et en petite quantité, avait la faculté de l’aider à se rendormir lorsqu’il était dérangé en pleine nuit, peu importe par quoi. Quelques sursauts d’abord puis le sommeil lui tombait dessus avec ses rêves curieux, comme une masse. Alors qu’il frottait l’allumette - et, soit dit en passant, les allumettes faisaient partie de ces objets indispensables dont la qualité s’était furieusement détériorée depuis ses jeunes années - il entendit le bruit reconnaissable de la chatière, clac - clac, avec un lent frottement soyeux entre les deux. Il avait un chat depuis l’été précédent, un mâle gris à dominante chatreux qui avait un peu de blanc sous le ventre. La patte avant-gauche aussi était blanche, ainsi que le bas du visage où luisait les yeux vert clair. La première fois, le chat s’était approché de lui alors qu’il dînait dans le jardin, une pauvre chose affamée qui se traînait péniblement. Ce pouvait être un animal qui appartenait à une vieille récemment décédée, il y en avait plusieurs dans le quartier qui vivaient seules entourées de félins, et lorsque l’une d’elles disparaissait il n’était pas rare de voir un peu partout des orphelins à quatre pattes, les yeux écarquillés de panique. Il avait falu un mois entier pour le retaper, et presque autant pour lui faire comprendre qu’il ne courait aucun danger en pénétrant à l’intérieur de la maison. Le vétérinaire trouvait que c’était un animal doux et craintif, qui avait une phobie des vaccinations, et lui donnait entre huit et neuf ans. Au début, il avait montré les pires difficultés à assimiler l’utilité et le fonctionnement de la chatière, qu’il semblait considérer comme un jeu étrange, une raquette. Cela avait pris du temps mais il avait fini par comprendre que la petite porte était un dispositif servant à entrer et sortir, et qu’elle lui était entièrement destinée. Depuis, il en faisait grand usage et avait des journées très stucturées, dormant du matin jusqu’au soir sur le lit de son maître et vaquant le reste du temps à ses occupations nocturnes - essentiellement des occupations d’exploration et de défense du territoire, étant donné qu’il était privé de la capacité de séduction. Kranzler avait pris son temps pour lui trouver un nom supportable car il voulait un beau nom grave et mystérieux susceptible de plaire à l’animal. A peine entré, Pluton se dirigea vers la vieille table de la salle à manger, ce qui en soi était une chose qu’il ne faisait jamais. Offrant sa plus belle pose à Kranzler, il se mit à le regarder gravement tout en émettant un curieux ronronnement continu, à peine audible. En général, il possédait un sens aigu de la géométrie et prenait d’autorité position au centre des choses - ce pouvait être le milieu du lit ou d’un fauteuil, mais c’en était toujours le milieu exact. C’était donc remarquable de constater qu’une fois monté sur la table il n’avait pas choisi n’importe quel emplacement. Au contraire, il avait distinctement préféré le bor droit, où Kranzler avait déposé en rentrant les feuilles de cahier récupérées dans la maison des gardiens. Il les contemplait avec tout l’intérêt et toute l’intensité de ses savant yeux verts, et le bout arrondi de sa patte avant-gauche, qui les touchait presque, semblait intentionnellement les désigner.

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