Il fit réchauffer un fond de café, léquivalent dune demi-tasse, car cette boisson-là, à condition dêtre servie très sucrée et en petite quantité, avait la faculté de laider à se rendormir lorsquil était dérangé en pleine nuit, peu importe par quoi. Quelques sursauts dabord puis le sommeil lui tombait dessus avec ses rêves curieux, comme une masse.
Alors quil frottait lallumette - et, soit dit en passant, les allumettes faisaient partie de ces objets indispensables dont la qualité sétait furieusement détériorée depuis ses jeunes années - il entendit le bruit reconnaissable de la chatière, clac - clac, avec un lent frottement soyeux entre les deux.
Il avait un chat depuis lété précédent, un mâle gris à dominante chatreux qui avait un peu de blanc sous le ventre. La patte avant-gauche aussi était blanche, ainsi que le bas du visage où luisait les yeux vert clair. La première fois, le chat sétait approché de lui alors quil dînait dans le jardin, une pauvre chose affamée qui se traînait péniblement. Ce pouvait être un animal qui appartenait à une vieille récemment décédée, il y en avait plusieurs dans le quartier qui vivaient seules entourées de félins, et lorsque lune delles disparaissait il nétait pas rare de voir un peu partout des orphelins à quatre pattes, les yeux écarquillés de panique. Il avait falu un mois entier pour le retaper, et presque autant pour lui faire comprendre quil ne courait aucun danger en pénétrant à lintérieur de la maison.
Le vétérinaire trouvait que cétait un animal doux et craintif, qui avait une phobie des vaccinations, et lui donnait entre huit et neuf ans. Au début, il avait montré les pires difficultés à assimiler lutilité et le fonctionnement de la chatière, quil semblait considérer comme un jeu étrange, une raquette. Cela avait pris du temps mais il avait fini par comprendre que la petite porte était un dispositif servant à entrer et sortir, et quelle lui était entièrement destinée. Depuis, il en faisait grand usage et avait des journées très stucturées, dormant du matin jusquau soir sur le lit de son maître et vaquant le reste du temps à ses occupations nocturnes - essentiellement des occupations dexploration et de défense du territoire, étant donné quil était privé de la capacité de séduction.
Kranzler avait pris son temps pour lui trouver un nom supportable car il voulait un beau nom grave et mystérieux susceptible de plaire à lanimal. A peine entré, Pluton se dirigea vers la vieille table de la salle à manger, ce qui en soi était une chose quil ne faisait jamais. Offrant sa plus belle pose à Kranzler, il se mit à le regarder gravement tout en émettant un curieux ronronnement continu, à peine audible. En général, il possédait un sens aigu de la géométrie et prenait dautorité position au centre des choses - ce pouvait être le milieu du lit ou dun fauteuil, mais cen était toujours le milieu exact. Cétait donc remarquable de constater quune fois monté sur la table il navait pas choisi nimporte quel emplacement. Au contraire, il avait distinctement préféré le bor droit, où Kranzler avait déposé en rentrant les feuilles de cahier récupérées dans la maison des gardiens. Il les contemplait avec tout lintérêt et toute lintensité de ses savant yeux verts, et le bout arrondi de sa patte avant-gauche, qui les touchait presque, semblait intentionnellement les désigner.
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