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la blanquette de veau par Olga2048

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La nuit avait été infernale. Comme les précédentes. Elle les passait à supplier Dieu de l'accueillir dans son royaume et comme il ne venait pas, elle finissait toujours à un moment ou à un autre par m'appeler, mais lorsque j'entrais dans sa chambre, croyant que c'était enfin Dieu, elle hurlait de terreur, disant qu'elle ne voulait plus partir. Et quand elle ne criait pas, son anhélation rauque me tenait éveillé. J'avais passé le stade de m'offusquer qu'elle ne reconnaisse plus son fils, je supportais sans broncher son humeur labile, sa méchanceté qui lui faisait m'envoyer à la tête tout ce qui lui tombait sous la main, mais ne pas pouvoir dormir, ça, je ne supportais pas. Je commençais à m'assoupir quand mon portable avait sonné. C'était Perron. - Désolé de vous réveiller commissaire; il a recommencé; c'est une femme de ménage qui l'a trouvé à 5 heures; je suis en route; c'est au 15 rue de l'université. Il me connait bien Perron, il sait à mes grognements que tout détail est inutile; il va à l'essentiel. J'ai pris une douche rapide. Sur le palier, j'ai croisé Mme Pélissier, une maîtresse femme qui s'occupe de ma mère avec dévouement. - Elle dort, je lui ai dit Elle aussi me connait bien et est avare en paroles à cette heure. Rien qu'à voir mes cernes, elle sait. - Essayez quand même de passer une bonne journée. - J'en doute Dans la cour déserte, un martinet faisait des piqués et des loopings en piaillant, à moins que ça ne soit une hirondelle, je n'ai jamais su les différencier. En roulant, je pensais à ce salopard qui nous tenait en haleine depuis des mois avec ses énigmes mystiques à la con. Pour son premier meurtre, enfin, le premier que nous avions trouvé, il avait suspendu un type par un pied à la poutre d'une grange, au dessus d'un box dans lequel il avait enfermé une vingtaine de lapines en train de levrauder, trop nombreuses pour un si petit espace. Elles avaient entrebouffé leurs petits, et de rage avaient attaqué le type. Il avait bien essayé de se défendre, mais suspendu comme il l'était... Elles lui avaient bouffé les mains et une partie de la tête. Mais avant de le suspendre, il l'avait castré, non pas en lui arrachant les couilles; il avait procédé proprement, comme on fait pour les bœufs : bistourner les testicules jusqu'à ce qu'ils se détachent comme des fruits murs. Épinglé à un poteau, il avait laissé une feuille où il avait écrit « Dieu a dit : “ Je partage en deux, les mâles auront la stérilité et les femelles la progéniture.”  » Pour le deuxième meurtre, il avait attaché un autre type avec une seule menotte dans un entrepôt de surgélation et hors de portée, il avait posé un téléphone. Le type avait tellement tiré qu'il s'était arraché la peau de la main comme on retire un gant et le téléphone n'était même pas branché. Il était mort de froid, vidé de son sang qui congelait à mesure qu'il coulait. Épinglé à l'extérieur, il avait laissé une feuille où il avait écrit « Dieu a dit : “ Je partage en deux, les familles auront la chaleur du foyer et les célibataires le froid de la solitude.”  » Nous avions enquêté sur les deux premiers meurtres sans trouver la moindre solution, à part le fait qu'il y avait le même mode opératoire et la phrase de Dieu. On dit toujours qu'il faut chercher à qui profite le crime. Là, rien : le premier était un ouvrier agricole sans famille et sans ennemi, le deuxième un employé sans problème de l'usine agro alimentaire où il avait été retrouvé, célibataire lui aussi. La particularité du troisième, me dit Perron dès que j'arrivais, était de posséder un superbe tatouage sur toute la surface du dos, qu'il avait très large vu qu'il devait peser plus d'un quintal. Lui aussi était suspendu, par les deux pieds dans la cage de l'ascenseur. Le câble, bloqué dans le davier le maintenait fermement au dessus d'une grosse marmite pleine de blanquette de veau dans laquelle il s'était noyé. Épinglé à l'extérieur, sur la porte de l'ascenseur maintenue ouverte pour que tout le monde profite du spectacle, il avait laissé une feuille où il avait écrit « Dieu a dit : “ Je partage en deux, les riches auront de la nourriture, les pauvres de l’appétit.”» Toute la journée on avait fait des relevés, des interrogatoires, bref le travail de routine, sans arriver à savoir si ce type pouvait se classer dans la catégorie des riches ou des pauvres -il était employé des postes, au guichet- mais ce qui était sûr, c'est qu'il avait un solide appétit comme l'attestait à la fois le contenu de son estomac et sa corpulence en général. Quant à la marmite de blanquette, elle venait du restaurant voisin où elle était inscrite en plat du jour la veille, avant de disparaître sans que personne n'ait rien remarqué. C'est aussi dans ce restaurant que le type avait ses habitudes le midi et d'après la serveuse qui le connaissait bien, c'est certainement ce plat qu'il aurait choisi. En rentrant chez moi, harassé, j'ai croisé Mme Pélissier qui partait. - Je lui ai donné un léger sédatif, vous passerez une meilleure nuit tous les deux. Au fait, je vous ai laissé une part de blanquette, vous n'aurez plus qu'à la faire réchauffer ! J'ai cru que j'allais vomir. J'ai dormi comme une souche toute la nuit. Je n'ai pas compris tout de suite ce que voulait dire Mme Pélissier par « C'est fini. », jusqu'à ce que j'entende le silence de l'appartement. Si ce salopard ne m'avait pas occupé toute la journée, j'aurais pu être là pour l'accompagner, elle qui a eu l'élégance de partir sur la pointe des pieds, sans un bruit pour ne pas me réveiller comme lorsqu'elle partait travailler quand j'étais petit.... Pendant que Mme Pélissier me faisait un café et me tapait dans le dos pour me réconforter, je pensait que l'autre salopard aurait sûrement punaisé sur la porte de sa chambre une feuille où il aurait écrit « Dieu a dit : “ Je partage en deux, les parents auront de la vie éternelle et l'âme en paix, les enfants la culpabilité.”»

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