Le ciel perdait de sa luminosité, et les derniers martinets de lautomne commençant, traçaient leurs ultimes arabesques avant le grand départ. La nature était calme, presque guillerette à lorée des bois de Trouassec.
Trois, ils étaient trois, disposés en "Y", allongés sur le dos ; tête contre tête, ou encore crâne contre crâne, car au centre de la figure, cétait un magma sanguinolent dos et de cervelles mêlées plutôt que des têtes
.
Arrivé au petit trot sur la scène de crime, Germain Flatfoot maîtrisa une anhélation chronique en faisant semblant de sintéresser aux chaussures des morts.
Son tic nerveux le ressaisit comme chaque fois quil avait devant lui une chef duvre des perversions et déviations humaines. Son pouce droit venait se nicher dans sa main gauche dans un mouvement de massage de la paume, bourrant ainsi une pipe virtuelle, ayant été contraint dabandonner la vraie pour raison dimage pulmonaire un peu trouble. Ça laidait à se concentrer.
Il nen était pas à sa première affaire bizarre, et sa ténacité avait permis de résoudre en son temps lénigme de laffaire « Byron », et au moins ici, cest pas les cadavres qui manquaient.
Il était clair quil y avait un message dans ce « Y ». La scientifique prit le relais des premiers constats visuels. Germain quitta la scène de crime, lodeur commençant à être trop présente en cette fin daprès midi. Il revint une minute après et demanda au photographe de faire un cliché du dessus. Celui-ci rouspéta quà son age on ne faisait plus de galipettes dans les arbres, et en bougonnant se fit aider dun poulet en tenue pour un cliché de surplomb
A première vue, trois hommes, mais la face tellement détruite que le légiste neut pas besoin dun davier pour disposer des dents du numéro 1. Dailleurs cétait cuit pour les empreinte dentaires, et pour les trois.
Pas de papiers, les empreintes digitales inconnues, le passage par lADN ne donnerait rien. Habits et chaussures de qualité, mais accessibles au commun des mortels un peu friqués. Restaient les recherches pour disparitions impromptues et déclarées.
Le médecin légiste apporta toutefois un éclairage inattendu : ils avaient en commun quils étaient plutôt jeunes, la trentaine, quils étaient bien morts de lécrasement de leur frimousse, mais lestomac plein, et vraisemblablement après avoir été drogués. Tous trois avaient des traces de menottes ou de liens sur les poignets. Mais létrangeté était dans le fait quils étaient morts à 2 ou 3 jours décart , numéro 1 étant mort en dernier et numéro 3 en premier.
Ils avaient eu beau bistourner les analyses, les repas, les dates, les habits
Germain ne comptait plus sur la scientifique ou sur des indices physico-chimiques pour avancer.
Il se retira chez lui avec le dossier, les photos.
Rire et chansons serinait les blagues convenues et éculées à force de redites. Coluche de nouveau y alla de sa phrase rerereconnue :
« Dieu a dit : Je partage en deux, les riches auront de la nourriture, les pauvres de lappétit. »
Edmond ! Edmond Dantès !!!!
Comment ce nom lui est-il venu à lesprit ? Lantagoniste riches-pauvres ? Peut être aussi cette lecture quasi hypnotique de la photo « daltitude » qui restituait maintenant, cétait lumineux, le sigle de la marque allemande Mercedes.
Mercedes, Edmond Dantès, le comte de Monté Cristo, la vengeance, mûrie, construite, élaborée, peaufinée
Il avait failli les posséder tous. Maintenant la « crim » allait levrauder lhomme, car cétait bien une vengeance dhomme, aussi labile quil puisse être ou devenir, jusquà lacculer, le démasquer
Tiens toi bien Monte Cristo ! Germain Flatfoot arrive
Germain mit sur le pied de guerre toutes les instances recherchant des crimes perpétrés et non élucidés, les morts inexpliqués, les disparitions de femmes, denfants. Les ordinateurs chauffèrent une journée entière, nouvrant que deux pistes qui se perdirent comme leau dans le sable du désert.
Il manquait un élément ! Mais quoi ?
Et le même flash produisit la même réaction chez Flatfoot ! Létoile à trois branches, le sigle Mercedes ! Il nétait pas là QUE pour la vengeance, il avait aussi sa signification directe ! Son pouce droit était endolori à force de bourrer cette satanée pipe toujours vide !
« Recherchez tous les crimes ou accidents ayant entraîné mort de femme, ou denfant et raccordez les avec les accidents déclarés ou non de Mercedes. Et cherchez dans les plus petits concessionnaires de la marque ! »
Cette fois les ordinateurs crachèrent du matos !
Sur les 3 femmes retenues, une seule semblait pouvoir justifier une vengeance : jeune et belle, elle avait été broyée par le pare-chocs dune berline sous les yeux du père qui laccompagnait au retour dun éblouissant récital de piano quelle venait de donner.
Lenquête navait pas abouti, le père ayant déclaré :
« - je sais pas, une grosse voiture, noire
, Je ne sais pas
»
Coté voiture, le peu dinformations dont disposaient les enquêteurs ne les avaient pas motivé outre mesure
Mais cette fois, lapproche « Mercedes » porta ses fruits.
A lépoque de laccident, 3 berlines avaient été réparées en carrosserie, mais seule une quatrième, traitée dans une petite agence de la banlieue de Rennes, avait fait lobjet dun remplacement plus que discret du pare-chocs.
Le propriétaire (toujours vivant) contacté se montra mal à laise à lévocation de cette soirée. Le pouce de Germain neut pas à malaxer trop longtemps sa paume gauche, le proprio avoua avoir prêté la voiture à son fils parti en goguette avec sa maîtresse et deux de ses camarades. Ils avaient ramené la voiture avec une journée de retard, mais comme elle navait rien... Ça nempêche que depuis cette époque, ils étaient en froid
Les trois compères furent introuvables, et le temps de retrouver la femme, Germain creusa alors la piste du père.
Après quils se furent annoncés, les policiers se présentèrent à un homme défait, mort dans ses yeux. Lhomme sinstalla derrière son bureau, les invita à sinstaller, et les écouta
« - Je ne vous attendais pas aussi vite
»
Il déposa devant lui un pistolet quil avait pris dans un tiroir.
Le flic en uniforme sauta en lair, larme à la main
« - vous seriez arrivé demain, je naurais pas eu à mexpliquer
»
Et lhomme commença son histoire
- La plus belle soirée de ma vie ... et la voiture est arrivée, comme folle
Jai tout vu, dans le moindre détail, la voiture, les hommes, la plaque
- Pourquoi navoir rien dit ?
- Je ne sais pas, blocage total, absence de confiance, douleur immense, folie meutrière
Je les ai retrouvés et jai inventé un histoire en relation avec leurs vie à chacun. Et vous savez la suite
- Et la femme ?
- Quelle femme ?
- Oui, il y avait une femme avec eux !
- Quand la voiture est passée, je n'ai vu que 3 hommes, 2 devant, un derrière. Ce dernier avait d'ailleurs sur le visage un sourire béat, comme s'il se foutait de moi... mais au fait, comment mavez vous retrouvé ?
- A cause du Comte de Monté Cristo, la vengeance, tout ça
- Je ne comprends pas, moi, jai juste voulu évoquer ma fille Mercedes, comme la voiture
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