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Les matous sont romantiques par Jules Félix

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Ce gars-là m’impressionnait. C’est clair que si j’avais eu à le croiser dans la rue, j’aurais changé de trottoir. Il avait l’air louche, les yeux pas très clairs, le regard tordu, l’esprit pas net, la démarche dépressive. Avant sa brutale disparition à trente-cinq ans, il y a tout juste trente ans, j’avais dû voir déjà quelques films où il brillait, uniquement à la télévision. Il était le mauvais frère, le mauvais garçon qu’il ne faudrait pas fréquenter, mais il faisait quand même partie de la famille, ne serait-ce que parce qu’il était reconnaissable. Or, reconnaître les personnages, c’est déjà mieux comprendre l’histoire. Parmi les films que je connaissais, il y avait bien sûr "Les Valseuses" (sorti le 20 mars 1974), avec Gérard Depardieu et Miou-Miou, à la limite de la décence pour un enfant, je crois qu’il y avait une scène de viol à l’envers, viol de l’homme et pas de la femme. J’avais vu aussi "Un Mauvais fils" (sorti le 15 octobre 1980), qui montrait un Patrick Dewaere noir, sombre, suicidaire, dépressif, toxico… Le film qui m’avait le plus frappé, c’était "Psy" (sorti le 4 février 1981), un film complètement déjanté, sur un scénario de Lauzier (reprenant sa bande dessinée), où sont décrits les stages de développement personnel dans une sorte de château ou de grande propriété. Et il y a une scène qui m’avait marqué, c’était un groupe d’une quinzaine de personnes assises parterre en cercle, je crois que c’est dehors, sur l’herbe, et pour mettre à l’aise une femme très pudique, Patrick Dewaere (l’animateur du groupe) propose aux autres de se déshabiller et ainsi, le groupe se retrouve complètement à poils ! Il y a eu aussi, parmi ses nombreux autres films, "Coup de tête" (sorti le 14 février 1979) sur le milieu football, et "Mille milliards de dollars" (sorti le 10 février 1982) sur les multinationales au passé trouble. J’ai dû également voir "La Meilleure façon de marcher" (sortie le 3 mars 1976), mais bien après sa disparition, sur les relations ambiguës entre deux moniteurs de colonie de vacances, et je n’ai jamais vu l’alléchant "Les Matous sont romantiques" (sorti le 21 octobre 1981) où Patrick Dewaere tient toutefois un rôle mineur. Bref, petit à petit, le Patrick Dewaere louche, violent et inquiétant laissait place au Patrick Dewaere sensible, fragile, émouvant, et surtout, vrai et authentique. Et c’est sûr qu’il était authentique puisqu’il jouait au cinéma comme il vivait dans la vie, avec ses sauts d’humeur, son agressivité, sa violence (il a donné des coups de poings à des journalistes), son côté bagarreur et aussi réellement dépressif. Il a commencé le cinéma à l’âge de cinq ans et a donc baigné dans ce milieu depuis toujours, aidé par une mère elle aussi comédienne. Patrick Dewaere et Miou-Miou furent très amoureux à l’époque des Valseuses, jusqu’à ce que Julien Clerc les séparât. Puis, quelques années plus tard, il épousa la mère de sa seconde fille mais celle-ci lui préféra Coluche. À la suite d’un coup de fil le matin avec l’épouse infidèle, il s’est troué la tête l’après-midi du 16 juillet 1982, dans la quatorzième arrondissement, avec un fusil offert par Coluche, probablement désespéré par la perspective de ne plus pouvoir revoir sa fille (l’ex-épouse et Coluche ayant décidé de vivre en Guadeloupe). Le corps fut découvert vers seize heures. Le titre de mon com’ aurait donc pu être "Préparez vos mouchoirs" (sorti le 11 janvier 1978), ou "Adieu Poulet" (sorti le 10 décembre 1975) ou peut-être même (pourquoi pas ?) "La Dialectique peut-elle casser des briques ?" (sorti en 1973). Ironie du sort, juste avant son suicide, il venait de finir le tournage du film "Paradis pour tous" (sorti le 25 août 1982), où il campait un agent d’assurance dépressif qui avait raté son suicide et qui reprenait goût à la vie. Il y a des fois où la réalité dépasse hélas la fiction… Patrick Dewaere aurait soixante-cinq ans et demi dans dix jours : comment pourrait-on imaginer ce fragile et dépressif avec un petit ventre, désabusé, presque chauve, confortablement assis sur ses succès ? Les destins happent parfois la jeunesse comme une gueuse au bon goût.

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