Aujourd'hui, je suis allé acheter des fleurs.
Le jour de la prononciation de notre divorce, une pluie d'été m'accompagnait docilement sur la route. Sur le périphérique, j'avais aperçu le corps inerte d'un motard qui s'était fait renversé par une camionnette sur laquelle était écrit : "Réparateur d'accordéons", j'avais esquissé un sourire malgré la noirceur du drame.
Au fond, j'aurais bien voulu prendre la place du jeune homme, couché sur le bitume, attendre les secours, s'efforcer de cacher son désespoir, se dire que c'est un jour comme un autre pour mourir.
Dans un ultime effort, je caresserais le sol lisse pour prendre conscience de mes derniers instants de vie et je tenterais surtout de ne pas oublier le regard bleu de Marion.
Elle s'était maquillée ce jour là, ses ongles étaient parfaitement limés, et le vernis bordeaux était en accord avec son tailleur. J'aurais pu tomber amoureux d'elle à nouveau.
La clerc de notaire m'avait fixé 'vous avez des questions, Mr Le Saint ?'. J'ai murmuré 'Non'. J'étais aussi stressé qu'à mon 'oral' de bac de français.
Je me regarde dans le miroir cradingue de ma salles de bains. J'ajuste ma cravate noire slim que j'ai acheté en soldes chez Celio. Est-ce un grand jour pour moi ?
Je me dis qu'il y a forcément plus salaud que moi.
Ce costume anthracite me va bien après tout. Le même costume pour les enterrements, les mariages, et les entretiens d'embauche du côté de la Défense.
Sur la route de l'hôpital, je grille un feu qui était passé au orange, car un 4x4 noir léchait les roues de mon scooter qui n'a pas vraiment aimé.
Sur le zébra du carrefour suivant, des aimables policiers me font signe de me mettre sur le côté. Leur jeu est bien rodé. on se croirait dans un film. Le mec, joue le gentil 'vous l'avez acheté où votre scooter ? c'est confortable ? '
Elle, la bad girl :
- 'Vous savez pourquoi on vous arrête ?'
- 'Non je sais pas, je suis le nouveau Merah c'est ça?'
la policière regarde la photo de mon permis de conduire et me fixe, elle me dit 'vous portez des lentilles', et me demande de me pencher pour vérifier. Me voilà en train de bouger ma tête dans tous les sens, un doigt de keuf à deux millimètres de mes cils.
Lorsque j'arrive devant la chambre de Marion, je réajuste ma cravate et remet dans un état convenable le bouquet d'orchidées blanches que j'ai dans les mains. Je prie pour que Marion soit repoussante, moche et puante.
Mais non, elle est splendide comme à son habitude. J'aperçois un monsieur à ses côtés (son mari) et un bébé tout rose dans ses bras (son fils).
Il me dit bonjour (le mari). Il me serre chaleureusement l'auriculaire droit (son fils).
La mère de Marion est présente également et parait bizarrement heureuse de me revoir 'Ha tu portes la barbe à présent ...'
'Oui, j'essaie, c'est pas évident pour un imberbe, hi hi'
Bref, je suis allé acheter des fleurs.
↧