Lombre de 1962 plane toujours sur lactualité
Mon premier contact avec lhistoire de lAlgérie fut dans la fin des années 1960. Notre voisin dorigine algérienne, nous racontait à lépoque avec passion et enthousiasme, lannée algérienne de 1962. Il nous disait souvent que le 5 juillet 1962, lAlgérie recouvrait son indépendance politique après cent trente deux années doccupation française. La France avait débarqué près dAlger le 5 juillet 1830 pour entreprendre la colonisation du pays.
Le 5 juillet 1962, répétait-il parfois les larmes aux yeux que lacte de capitulation signé par le dey dAlger était enfin effacé ainsi que lhumiliation nationale. Mais avant cette date dune portée historique mondiale, que de sang a été versé, que de crimes et outrages commis dans ce pays.Lindépendance algérienne fut à bien des égards une victoire de la liberté et du progrès dune bonne partie de lhumanité disait-il fièrement.
Les nombreux visiteurs de notre voisin nous parlaient eux aussi de lAlgérie. Avec fierté, ils évoquaient les groupes sociopolitiques de lannée 1962 et dépeignaient à leur façon, et non sans joie, lunivers de lépoque. Pour eux deux groupes opposés se distinguaient dans le paysage politique algérienne.
Dans lunivers des « nost algériques »
Cette population est amère, elle vient de quitter lAlgérie où elle a tout laissé. La En France, ils sont mal accueillis, ignorés. Une deuxième humiliation pour eux.
Ils veulent revenir en arrière, rêvent dune restauration intégrale de la France ne peuvent se résigner à entériner purement et simplement lindépendance de lAlgérie: souveraineté nationale, élections libres, vie démocratique, liberté dexpression,
Pour eux, cette indépendance est satanique, ils ne cessent de répéter : « comment peut-on laisser ce pays à des indigènes ? Ils veulent extirper toutes les transformations post 1962 et remettre le pays en marche. Il subsiste encore des Français qui pensent que lAlgérie est toujours française, que les hommes politiques de lépoque sont des traîtres puisquils ont vendu lAlgérie.
Daprès eux, lindépendance est tenue pour une sorte daccident ; il convient de fermer la parenthèse et deffacer les conséquences de cet accident. « On doit renouer la chaîne du temps » murmurent-ils.
La légitimité historique, elle sétend à tous les aspects, à tous les secteurs de la vie collective, aux formes juridiques et politiques dans ce pays.
La présence politique de ces partisans de lAlgérie française, leurs exigences, leur agitation, leurs menées, ont pesé lourdement sur la situation politique en France en 1962. Ces nostalgiques sont demeurés une menace constante qui a longtemps inquiété, à juste titre, celles et ceux qui sont attachés à lindépendance algérienne.
*Les Algériens, partisans de la révolution cubaine en Algérie: Le triomphe du peuple en armes
Pour eux, il sagit de prendre le contre-pied du système colonial et deffacer tous les vestiges de la présence française en Algérie. Le peule algérien est en droit de défaire à tout instant lordre colonial. Sa volonté souveraine seule confère la légitimité. Il peut substituer à lhéritage du passé un ordre nouveau, rationnel, solidaire, libre et volontaire prenant lexemple cubain comme référence.
Ils entendaient mener la révolution à son terme et aller jusquau bout de ses conséquences. Pour eux, les objectifs de la révolution, les objectifs de transformation économique, sociale et humaine, demeurent vivaces. Le nom de « justice sociale » reste leur mot dordre, avec un partage des biens, un partage économique.
A limpérialisme, ils battaient la fraternité, à lunion des puissants, ils objectaient la solidarité des peuples ; à la nation renfermée sur elle, ils répondaient par linternationale, et à la lutte des places, ils opposaient la lutte des classes.
Il y a un malaise dans cette histoire : 1962 entre amnésie et consensus
Les relations entre enseignement, mémoire et histoire est primordiale pour comprendre les enjeux ; notamment ceux de la citoyenneté, auxquels ont à faire face toutes les sociétés daujourdhui. La construction nationale du passé occupe une place importante dans la construction de lidentité du citoyen français. Lenjeu est de créer une mémoire commune à partir dune multitude de mémoires individuelles, car la façon dont une société interprète son passé au fil du temps a des conséquences politiques et sociales majeures. Léducation au niveau nationale de lhistoire joue un rôle particulièrement important de ce point de vue.
La guerre et la mémoire dAlgérie et des Algériens en France sont un sujet qui illustre lactualité et la centralité du besoin de comprendre les enjeux que posent les mémoires concurrentes des differents groupes dans la société française à lenseignement de lhistoire. Les traces des 132 ans de domination coloniale française de lAlgérie et la décolonisation violente qui a mené à la Guerre entre 1954 et 1962 sont encore visibles aujourdhui. Lannée 1962 a entraîné dimportantes vagues dimmigration dAlgériens et de rapatriés français (pieds noirs) vers la France. Cela a eu pour effet la formation de groupes concurrents, qui chacun adhèrent à leur interprétation de lhistoire. Les demandes de reconnaissances historiques et les désaccords qui en résultent peuvent être observés dans un bon nombre de débats publics qui ont eu lieu en France ces dernières années.
La première difficulté pour enseigner cette histoire est de faire construire aux élèves la connaissance historique. Pour réussir cet objectif, il faut éveiller la curiosité de lélève au monde et notamment à la question algérienne par la connaissance des erreurs mais aussi des combats menées dhier et daujourdhui par lacceptation des différences et le refus de lindifférence. Il faut aussi amener chaque élève à une réflexion personnelle sur la pluralité des individus composant une société. Pour ça, il faut revoir et reconfigurer certains préjugés sur cette question auprès de ces jeunes sous influence médiatiques communautaires qui brouillent parfois les messages, les images et les connaissances.
Il faut aussi et surtout éviter lémotionnel qui souvent pèse sur des élèves et arriver à une meilleure compréhension du contexte historique de cette guerre. Ce travail se situe dans le devoir dhistoire et non celui de mémoire car ce dernier désigne un devoir moral attribué à des Etats chargés dentretenir le souvenir des souffrances subies surtout lorsquils en portent la responsabilité. Il soppose à lamnésie qui impose loubli dans un souci dapaisement.
Lannée 1962 et le roman national : un passé qui ne passe pas.
Beaucoup dhistoriens soulignent que l'histoire coloniale en Algérie est un exemple de mémoire qui ne passe pas .Ils avancent lidée que cet oubli trouvait une justification néanmoins, il s'agissait de parler le moins possible de ces « noces et divorces » entre la république et la colonisation, et d'écarter la menace éventuelle de désagrégation sociale que ce phénomène pourrait révéler. Il sagit aussi déviter de pointer les transgressions réalisées par un Etat de droit pendant la période coloniale. Mais le temps a paru bien long pour tous ces enfants issus de l'ex-Empire colonial, qui ont alors commencé par exemple à interroger la République sur le sort réservé aux soldats coloniaux, tentant de trouver des explications au rejet mêlé de racisme dont ils ont fait l'objet depuis.
Dans ce climat social trouble, le rôle de lhistorien est de prendre de la distance, d'éviter de verser dans la nostalgie facile, dépassionner la réflexion et mettre à la disposition du public les connaissances utiles à la compréhension d'un sujet complexe. Il ne doit s'ériger ni en procureur de l'histoire ni en juge d'instruction des faits historiques.
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Que doit connaître un collégien ?
Après avoir été longtemps délaissée, létude des mémoires singulières et collectives fait aujourdhui lobjet dune attention particulière. Historiens, sociologues, associatifs, enseignants, universitaires et institutionnels travaillent maintenant de concert pour lui rendre sa dignité scientifique et sociale.
À vrai dire, les programmes actuels sont exigeants, ils sont jugés par certains élèves étouffants, noyant lessentiel dans la routine. La tâche des enseignants est toujours de ramener leur enseignement à la clarté et à la simplicité, et sans perdre de vue léducation du jugement.
Aujourdhui les élèves sont davance « éduqués » (ou déséduqués, selon le point de vue que lon adopte), en dehors de lécole, par un système de communication dont ils sont les consommateurs privilégiés, à leur insu. Lécole est tenue de faire ce qui a été défait par ce bain dimages et de bruits (parfois à tendance communautariste, il ne faut pas le négliger). Elle doit relativiser les idoles, construire lattention, la concentration, la mémoire, la considération dautrui. Il faut doter lélève de cette arrière-boutique -au sens où lentendait Montaigne- où il puisse prendre du recul vis-à-vis de la grande machine à émotions préfabriquées, de situations victimaires, tsunamis compassionnels et téléthons ethniques.
Pour conclure nous devons insister sur le fait que ces mémoires ont fécondé lhistoire, il ne faut pas loublier. Lhistoire telle que lon pense aujourdhui est une histoire enrichie par les mémoires plurielles, et cest cette histoire là quil faut porter et transmettre, concrètement enrichie par ces mémoires controversées et ces pluralismes. Ce travail est loin dêtre un travail communautariste et complaisant, il montre que lhistoire nest pas du donné mais du construit, du crée avec une touche subjective avec limplication des une et des autres dans cet acte de lécriture du passé.
Lannée 1962 na pas été totalement oubliée, mais partiellement occultée dans lenseignement national. Son enseignement reste cependant problématique et incomplet pour principalement deux raisons ; les effets sociaux multiples de la guerre dAlgérie qui ont crée des mémoires concurrentes des différents groupes impliqués et leurs descendants ainsi que la nature difficile de léducation nationale historique comme créatrice didentité commune et consensuelle en soi.
Trois principes doivent guider le travail denseignement : le premier est celui de la légitimité des appartenances multiples (familiale, religieuse, régionale, politique
), le deuxième est celui de la hiérarchie de ces appartenances. Cest lappartenance à la France qui primera sur les autres appartenances légitimes. Nos élèves ne sont pas en premier lieu immigrés, chrétiens, juifs, ou de telle ville, de tel quartier. Ils sont dabord Français.
Le troisième est que les programmes dhistoire ne peuvent plus se contenter de transmettre le « le roman national » tel quil a été conçu au XIXe siècle au moment de lélaboration de la construction nationale.
La réflexion critique sur les objectifs de lenseignement de lhistoire amène à sinterroger sur la signification de notre « panthéon scolaire et républicain » et sur lapport des Autres dans la construction de la France actuelle.
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