Il voulait te rendre hommage cet ami japonais et je savais combien cela pouvait te mettre en rage, ces hommages quon voulait te rendre de ton vivant.
Aussi ai je immédiatement protesté :
"Chris naime pas quon lui rende hommage avant quil soit mort. Or, il est vivant et bien vivant."
Javais parfaitement conscience de la dérision des choses .
Tu maurais dit que je faisais ma "Don quichotte."
Toi tu combattais des bombes imaginaires sur des écrans vidéos.
Moi, je pourchassais les mots ou les images
Et puis, un message est tombé comme un couperet en clignotant sur facebook.
Une amie madressait ses condoléances.
Ma respiration sest arrêtée.
Je nai eu la force que décrire "????? "
les dixièmes ont paru des secondes , des minutes, des années
jusquà ce que ton nom apparaisse.
Je ny ai pas cru .
Les gens mont annoncé 10 000 fois ta mort.
Chaque fois jai démenti.
Jai fini par te croire immortel.
Un jour tu as disparu.
Jai couru partout te chercher , dans la ville, dans les hôpitaux.
Tu étais parti avec une valise .
Pour la première fois sans me dire où.
Je ne savais même pas sous quel pseudo te chercher.
Jai tout voulu savoir. Tes ordonnances. Tes médicaments.
On mavait dit que tu avais la gorge enflée.
Je sais que tu ne veux pas quon sache quand tu es malade.
Tu mas appelée. Tu mas dit que tu avais besoin de te reposer un peu ailleurs. Que ce nétait pas grave. Que je ne devais rien dire à personne.
Alors jai respecté la consigne: quand on me demandait de tes nouvelles, je disais que tu étais en pleine forme.
Jétais persuadée que cette image de santé allait te guérir.
Tu menvoyais de photos de tes infirmières.
Elles étaient belles et douces. Je te savais en de bonnes mains.
Je te disais que pour ta convalescence, il fallait les garder auprès de toi.
Tu me disais que cétait une bonne idée.
Je te racontais mes peines et mes chagrins.
Et je te faisais rire aussi.
Chaque fois, quand je mindignais devant les misères du monde, tu partageais tout.
Il arrivait souvent que des personnes indélicates me harcellent de questions sur toi en disant « il nest pas ENCORE mort ? Jétais heureuse de dire que tu étais en pleine forme même si javais conscience de mentir un tout petit peu.
Je savais quil fallait être patiente, qu'il fallait te laisser reprendre des forces , attendre que le printemps efface dun seul coup tes souffrances avec sa baguette magique . Mais le printemps tardait à venir.
Alors jai attendu lété. Mais lété aussi tardait à venir. Il pleuvait , pleuvait, pleuvait.
Et la calotte glaciaire a commencé elle aussi à fondre.
Pour te changer les idées, je te racontais mes derniers projets.
Ma lutte contre les centrales nucléaires et mon envie de mengager encore plus chez les verts.
Mais toi, tu voulais surtout que jécrive. Et que je ne perde plus mes pages.
Et que filme aussi , ce que je ne faisais plus depuis mon film coupé en deux.
Un jour tu as quitté lhôpital et tu es retourné chez toi.
Tu as tardé à me donner des nouvelles .
Jessayais dimaginer ce que pourrait être le monde sans toi.
Et comme cétait inimaginable, cétait bien pour moi la preuve que tu ne partirais jamais avant moi.
Je te savais donc immortel.
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