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la seconde, d'abord par Sois toi

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Elle est l’aînée et comme les autres, les parents, ne me voyaient pas, ne me voulaient pas, elle affirma très tôt et une fois pour toutes, jusqu’à la mort, sa priorité et sa prééminence. Elle n’a même pas eu besoin dans l’enfance d’avoir recours à un droit d’aînesse qui lui aurait été contesté : pas de contestation possible. Elle n’a pas eu à faire ses preuves : intelligence, bonté, beauté lui étaient dues, point. Elle n’a pas non plus eu à se battre pour faire reconnaître ses talents : la reconnaissance lui était acquise avant même qu’elle lève le petit doigt. Elle s’était donné la peine de naître la première, et je devais expier ma vie durant mon absence de vélocité. Je devais aussi expier mon absence d’à propos, puisque j’aurais dû naitre mâle, pour remplacer l’enfant mort à 3 ans et 3 ans après sa naissance à elle. Qu’étais-je venue faire dans cette galère, là où elle voguait, légitime,, entre mes parents, qu’étais-je venue lui voler l’amour de ceux-ci ? A part cette contrariété, ma naissance, la vie lui fut d’emblée facile. Elle s’acharna à dissiper ce coup du destin qu’elle ne pouvait accepter. Sa haine m’enveloppa comme un lange bien serré, depuis mes premiers pas, qui la secouait de rire moqueur jusqu’à ses « au revoir pipi caca » puisqu’ainsi elle m’appelait, le tout repris en cœur par les autres de la famille, ceux qui, à bon escient, l’adulaient, jusqu’aux examens que je réussis et pas elle, dont elle balayait la valeur parce qu’il s’agissait de chant. Sa gloire reconnue de tous, car elle était de cette sorte d’enfant qui fait des bons mots, qui pose des questions drôles, dont les paroles furent répétées durant des dizaines d’années, sa gloire ne lui suffisait pas, comme toutes les grâces de ce monde qui nous sont offertes et ne nous ont pas obligé à les conquérir. C’est elle qui prend des cours de chant et de piano, elle qui reçoit les promesses dès l'aube, elle qui ferme victorieusement la porte, me laissant derrière, quand ses professeurs viennent . Elle est mince et moi trop grosse parce que ma mère me gave, compensant en nourriture ce qu’elle ne me donne pas en amour. Mais c’est ma sœur, Jackie, après tout et je mets du temps à ouvrir les yeux sur cette fureur qui la ravage. J’ai 5 ans lorsque je l’aperçois de l’autre côté de la rue à Manhattan , je m’élance vers elle…une voiture me chope, trainée sur 8 mètres, « elle est perdue » disent les médecins, 22 jours de coma, absence qui fut vécue comme une trêve accordée à cette famille qui ne veut pas de moi. Pourtant je revis, même si personne n’y croit. J’avais été privée de mon enfance, et de plus j’étais grosse au moment d’affronter le monde…mais je le fis, comme quand on sort du coma, on le fait, c’est tout. Quand je dus chanter La Gioconda aux Arènes de Vérone en aout 1947, elle lut attentivement la presse italienne, qui critiquait cette petite américaine sortie de rien, et m’envoya les coupures, toutes les coupures négatives. Puis elle prit l’habitude de fouiner et de trouver un mauvais commentaire sur mes prestations toute l’année 52. Que je chante à Vérone, Mexico ou Londres, elle savait m’envoyer une critique acerbe juste avant mon entrée en scène. Quand la presse se déchaina en ma faveur en 1949, lorsqu’à la Fenice de Venise j’interprète la Walkyrie et Elvire des Puritains, je dus essuyer son courroux bien compréhensible devant cette faute qui lui compliquait la vie de singulière manière. Puis je maigris et devins belle. J’étais donc célèbre, mariée à un homme qui m’adorait, invitée partout dans cette Europe d’après guerre et digne de la couverture de Paris Match (décembre 58),. Et de plus, un amant armateur. Des scandales répétés, qui me faisaient mourir de rire, malgré mes airs de tragédienne antique. Je devins la plus grande chanteuse connue, couverte de gloire. Je devins une égérie. Je devins la meilleure. Alors, elle se déchaîna. Ma gloire indubitable lui sembla un soufflet donné à sa majesté. A sa vengeance enfin elle pouvait donner libre cours : ma présence sur terre ne pouvait certes pas être éliminée facilement, mais elle allait faire comme si, et on allait voir qui allait gagner. La guerre éclata ainsi, entre celle qui voulait juste être une casta diva asoluta mais qui refusait le terrain sentimental, et celle dévorée par des sentiments qui la rongeaient et qui éclataient comme des bulles dans un bouillon. Tout, elle essaya tout , surtout à partir du moment où je suis acclamée dans le monde entier. Puis je rencontrais peu après Onassis, la vie mondaine, et encore une fois la gloire non plus basée sur l’opéra mais sur ma vie. Réussie. Sauf pour elle. Car je ne faisais rien, mais rien, pour lui faciliter l’existence. Tout simplement je n’aurais pas dû naître, telle était la solution. Trop tard.

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