"L'été, avant de faire la sieste dans ma chambre d'enfant, je m'amusais à observer un grand théâtre d'ombre irisé au plafond. Je voyais tout ce qui se passait dehors malgré les volets fermés, les images se formant à travers un trou des persiennes. Ce fut ma première chambre noire. "
(Edouard Boubat La Photographie)
Juillet laprès-midi. Ecrasés par la chaleur, les murs dilatés recrachaient une lumière crue et blanche sur la rue désertée et silencieuse. Tout semblait suspendu. Des lambeaux secs de temps accrochés au ciel flottaient à peine à chaque souffle dune épaisse brise chaude, lamentablement assoiffés. Seul le chant réglé des cigales derrière la maison. Parfois le grincement des huis dune porte quon refermait précautionneusement, pour ne réveiller personne, ou le crissement rêche des pieds dune chaise sur le carrelage de la cuisine en bas, glaçant comme une craie sur le tableau noir, à donner des frissons dun coup au milieu de toute cette moiteur.
Etendue sans bouger, sur le boutis blanc de son petit lit elle écarquillait les yeux dans la pénombre de la chambre, sessayant à capter dans sa pupille le rai de lumière qui passait à travers le volet clos. Parfois une ombre se profilait, filtrant à travers le trou du bois, et sagitait un instant -et à l'envers- en cinéma muet sur lécran du plafond. Cétait sa grand-mère qui jetait un fond deau de rinçage au milieu de la cour pavée, pour apporter lillusion dun peu de fraîcheur et soutenir le pied de basilic recroquevillé dans son pot en laspergeant de quelques gouttes salvatrices.
Parfois un crépitement de moteur au loin transgressait le silence moite en crevant mollement lair brûlant, et traversait le village pétrifié sous le soleil, avec une hostilité exaspérante. Comme si quelque chose se tramait ...en secret dans le fond des ruelles. Quelque chose dangoissant. Pesant comme un caillou, et meurtrier.
Elle écoutait dans le silence revenu, chaque pas en bas, une clef qui tournait dans une porte, un placard quon ouvrait, quon refermait, un choc de verre sur la pile de grès.
Elle restait là, couchée dans le noir, avec seulement ce rond de lumière dansant au plafond, à ne rien faire. Elle senhardissait cependant quelquefois, quand le silence devenait trop pesant, et marchait nu-pieds sur le froid du carrelage, jusquà la fenêtre, pour tenter de glisser un regard à travers le volet. Mais au moindre craquement de son propre pas, terrorisée par sa témérité et son audace, elle retournait en courant jusquau lit où elle se jetait cachant sa tête dans loreiller, faisant semblant de dormir, de peur que grandmère ne la surprenne en flagrant délit de désobéissance !
Alors elle ne bougeait plus. Elle apprenait à tenir immobiles ses bras le long du corps et à faire taire limpatience de ses jambes maigres qui narrêtaient pas de gigoter dans tous les sens, agacées par cet ordre stupide, désireuses de courir partout, et de sauter par-dessus des ruisseaux insolents dans de vertes prairies enchantées. Il fallait surtout ne pas remuer. Ne pas donner prise à la chaleur de lété. Faire la morte. Attendre. Laisser passer le temps. Laisser séteindre la fournaise dehors qui étreignait tout.
Parfois, à force, elle sombrait dans un sommeil lourd et poisseux, agité dombres menaçantes dont elle sortait en sueur alors que sa grandmère venue la réveiller lui tendait un verre de sirop à la menthe glacée et lui promettait le cornet tant convoité, que ne manquerait pas dapporter bientôt, juché sur sa minuscule carriole à pédales et protégé par un parasol bariolé, le marchand de glaces chantant et criant à la cantonade, annonçant avec sa si familière petite musique de carillons joyeux, la fin de la sieste imposée et le retour à la lumière de l'été !
http://youtu.be/bCkcCK4x4X4
De cette enfance là, de ces étés là, elle garda toutefois -et paradoxalement- ce goût immodéré pour la sieste de l'après-midi ....et ce plaisir sensuel de la chambre noire, de la chambre close...du renversement des choses, et aussi des gens, et ses jeux sans fin, d'ombre et de lumière ...
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