Au moment où je posais mon billet de vingt euros sur le comptoir en zinc pour m'acquitter de mon pot de Côtes et de ma volaille à la crème, le type me balança à la figure « mais t'as quinze ans, ma pauvre ».
Furax, je me tirai illico du bistrot pour aller m'asseoir sur un bout de trottoir, préférant conserver un silence prostré et broger.
Quoi merde à la fin, c'est avoir quinze ans que d'exister sans entraves ?
De s'abandonner à un sourire lumineux, une peau , deux mains comme si c'était la toute première fois toute toute première fois ?
De se retrouver happée par un disque comme si la vie et la musique démarraient avec lui ?
C'est quoi alors trente-trois ans et demi ?
C'est sucrer son café ?
Boire de la bière tiède à 2 degrés ?
S'inscrire au club de zumba pour garder la fritas plutôt que pogoter au concert de Peaches? Dormir la nuit et vivre le jour ?
Débattre de l'allaitement plutôt que de s'écharper sur le dernier XX ?
Se chanter « On n'est pas heureux ni malheureux, mon dieu mon dieu je veux Mireille Mathieu » plutôt que « Et moi je veux nager encore une fois avec toi » ?
Ok, si c'est ça, j'en conviens, alors je n'ai pas trente-trois ans et demi.
Et en parfaite immature je continuerai, à brailler « vive ma liberté yeah yeah yeah » sur le boulevard de la Croix- Rousse quand le Paddy's aura fermé et qu'il me faudra me résoudre à rentrer. Une gamine qui ne veut pas grandir ( pourquoi faire d'ailleurs ?)
D'ailleurs, la preuve, cette semaine, mes oreilles d'artichaut sont tombées sur un disque qui a provoqué en moi le boom boom immédiat. Fait suffisamment rare pour que j'ai envie d'en parler du coup ( parce que mes états d'âme, on s'en fout pas mal au fond).
Un premier album d'un groupe suédois nommé Holograms qui a pondu cette année une patate chaude du même nom . Alors que d'autres s'excitent pour dénicher l'album de l'année comme si la musique pouvait rentrer dans les cases d'un calendrier ( et puis moi les calendriers , je les comprends pas, je compte en année scolaire d'abord) , cet album semble être resté dans l'ombre des grandes sorties attendues de l'année sur lesquelles on spécule et on s'agite.
Tant mieux, il ne sera pas l'album de l'année, ça évitera de lire trop de conneries dessus et puis le mot buzz me donne des boutons.
La faute aussi sans doute à son label- Captured Tracks qui nous a balancé tellement de merveilles ces derniers mois ( Blouse, DIIV, Wild Nothings pour ne citer qu'eux), que du coup Holograms passerait presque pour un groupe de second ordre.
Mais bon, on ne peut pas leur en vouloir à ce label d'être aussi doué pour dénicher et signer de tels artistes.
Bref bref bref , pourquoi je les aime si fort ? Ben, parce que si moi j'ai quinze ans, eux en ont quatorze trois-quart ( sisi c'est de l'argument ) . Alors forcément on se comprend.
Si vous pensiez que la Suède se résumait au bonheur artificiel d'un monde en kit ou à la pop mélancolique de The Radio Dept., vous n'allez pas être déçu du voyage.
Holograms sont de sales gosses qui n'ont pas de temps à perdre ( 12 titres, 38 minutes) comme s'ils couraient pour choper les wagons de la vie et qui en parfaits ados, font la nique aux clichés et aux attentes .
Des suédois ? Leur énergie brut de pomme efficace flirte pourtant en permanence avec le post-punk anglais, qui eut le bonheur , en son temps, de flinguer définitivement l'ère hippie, sans jamais le pomper grossièrement.
Un groupe Captured Tracks ? Les Holograms ne sont pourtant pas du genre contemplatifs et éthérés , ce qui change radicalement l'approche plus shoegaze/dreampop à laquelle m'avait habitué à tort leur label ( oui, je sais , y a the Soft Moon aussi qui rentre pas dans cette case non plus).
La voix du chanteur évoque un Robert Smith énervé à ses débuts ou un Kele Okereke qui se serait retrouvé au milieu d'un groupe inspiré ( mais ça, ça n'a pas l'air d'être de l'ordre du possible pour le moment ).
L'album file à toute vitesse. On n'a pas le temps d'aller à la voiture- bar se prendre une bière pour mieux le déguster que mince, c'est déjà fini.
Autant le dire, j'en suis restée sur le cul de ce voyage à cent à l'heure et le seul mot que j'ai pu placer à l'arrivée , c'est " putain ".
Et depuis je n'ai rien trouvé de mieux pour le qualifier.
"Let's get stoned, music is my dope "
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