Quantcast
Channel: Les commentaires de Pointscommuns.com
Viewing all articles
Browse latest Browse all 5180

la première, après par Sois toi

$
0
0
Quand j’appris qu’elle avait avorté d ‘Onassis je lui écrivis : Athènes, le 19 août 1960 Te souviens tu de notre jeunesse, Maria ? Ma mère clamait que j’étais la meilleure et serais cantatrice et toi pianiste, mais je t’ai cédé volontiers la place que tu convoitais tant, toi qui voulais par dessus tout être la première.. Donc tu commenças à chanter et j’avais peur pour toi, je te prévenais des risques où tu t’exposais. Soucieuse d’entretenir de solides liens avec toi, j’essayais avant tout de t’insuffler le sens des tristes réalités de ce monde, les seules réalités qui soient. D’ailleurs, tes débuts furent dramatiques. Le Met ne voulut pas de toi en 1945. L’Italie se demandait toujours ce que venait faire cette petite américaine sortie de nulle part et sans grande technique. Mais tu te démenas, suivie par ton bedonnant vieux mari. Connaissant ta manière d’écarter délibérément toute reconnaissance de tes symptômes hystériques, tu nourrissais un terrain parfaitement névrotique, et je pèse mes mots. En d’autres termes, tu rejetas la responsabilité de ton obésité sur ma mère qui voulait juste que tu correspondes aux critères des chanteuses d’opéra, pendant que moi, pianiste, je commençais à être écoutée, Et moi j’étais belle. J’ai bien vu au fil du temps que tu étais remplie de rancune à notre égard, alors, au cours de ton ascension qui paraissait tellement une revanche, je suis restée à l’écart. Tu as bien essayé de me contacter, et de m’inviter à Vérone quand tu savais que j’y étais. Je préférais éviter, car mes excès de tendresse auraient pu te donner mauvaise conscience et les journaux seraient là, pour compliquer l’affaire, puisque tu ne pouvais vivre sans eux. Je restais persuadée que dans une zone obscure de ton esprit, celle qui ne pouvait reconnaître tout l’amour, même silencieux, dont tu as été entourée, devait en rester marquée à vie. Je fus surprise et incrédule de constater la bataille (que je pensais perdue d’avance) à laquelle tu te livras pour te faire accepter et je crus de bonne fois qu’il t’en resterait les séquelles d’un coma dont on sort sans pouvoir éviter qu’il ait existé. Je ne te parle même pas de tes nombreux scandales, tes problèmes avec La Scala, avec le Met, ton interruption de la Norma à Rome alors que le Président était venu t’écouter ; je préfère ne rien dire, de toute façon tu ne m’écoutes pas. Faire recommencer jusqu’à pas d’heure la même répétition chez EMI? tu te faisais haïr. Chanter Wagner ET Bellini, deux registres incompatibles, était-ce bien raisonnable ? Déployant des trésors de compréhension, je sentis bien avant l’heure la damnation de l’échec inévitable. Suspendue aux nouvelles et mue par une compassion fraternelle, je te voyais, fragile, programmée pour échouer, et qui me déconcerta tant par ton désir inutile de monter toujours plus haut, de la manière la plus irraisonnée qui soit. A la fin de l’année 52, cependant, un soupçon me tenailla : Ils me l’avaient pourtant bien promis, que c’était moi l’élue, alors où se logeait l’erreur, où était la faute, à ma mère et à moi ? Se pourrait il que nous nous soyons trompées, et que donc notre vie soit comme un canevas qui n’aurait pas pris de l’autre côté, dont les points se défont à mesure que l’on brode ? Se pourrait il que malgré tous nos encouragements,, tu te sois imaginé la perfection sans nous ? A l’incrédulité de constater ton ingratitude, toi que nous avions tellement choyée, à la fureur de constater que tu réussissais à être l’une des plus grandes prima donna, s’ajouta le doute sur cette société qui idolâtre des veaux en plâtre. J’attendis violemment que tout cela finisse. Et n’osai rien pour toi. Un jour ma mère resta clouée de te voir avec 36 kilos en moins, un magnifique collier d’émeraude au cou, et élégante comme une parisienne. Mais toi, toi, tu ne voulais plus la voir et rien ne se passa. Tu perds tes kilos, tu pars avec Onassis, mais déjà tu n’as plus de voix. J’ai pitié de toi . Je sais tant de choses que je préfère ne pas te dire … Je t’embrasse néanmoins de tout mon cœur » Jackie Je n’envoyais pas cette lettre. Pas eu besoin. Quelques années après, Onassis se maria avec Jackie Kennedy (le prénom ! L’avait fait exprès ! champagne!) et plusieurs années après j’appris la mort de Maria. Avec qui je ne m’étais pas réconciliée, malgré tous mes efforts. Trop tard. Et qui nous déposséda, ma mère et moi de l’héritage de ses bijoux qu’elle donnât à une amie inconnue. Mon mépris retrouva alors toute sa légitimité. Je ne jouais plus de piano, mais je me mariais avec un homme 24 ans plus jeune que moi, et médecin. Petit essai de me réconcilier avec le destin, et seule personne de qui je recueille l’unanimité..

Viewing all articles
Browse latest Browse all 5180

Trending Articles