Parfois les rendez-vous sont compliqués. On ne sait pas pourquoi. On ny pense pas vraiment. On ny pense pas tant que lon nen a pas pris conscience. Mon rendez-vous avec Mathias Enard fut compliqué.
Au début, mes mains ont lâché, les yeux ne les retenaient plus. Je nai jamais terminé «Parle-leur de batailles, de rois et déléphants »*, une erreur sans doute, un mauvais timing, linstant mal approprié, les mots glissaient des doigts comme de la javel, yavait que du blanc.
Puis jai entrepris un long voyage en voiture pour les fêtes de fin dannée, invitant mon MP3 à ma droite, rassasié de cinq épisodes** sélectionnés au hasard Balthazar. Ainsi on se retrouva à plusieurs dans la berline à traverser des monts et merveilles en se tenant chaud, un filet de voix sécoulant du samovar. Mathias, Jeanne et Vladimir prirent leurs aises, moi je les écoutai, ils me racontèrent la Russie et se servirent des verres à larrière en riant. Cétait bien, ce fut bon de traverser les plaines givrées de France et dy voir la Sibérie, dimaginer les essieux du Transsibérien me secouer les côtes, de voir des rails sur lautoroute tandis que les mots se chargeaient de réchauffer latmosphère de lhabitacle. Sur la départementale, je traversai des forêts de châtaigniers habitées de cosaques, des champs mouillés de Bosphore ou des débordements de Volga et de vodka, des plaines embrumées dopium, dans ma tête crépita la langue cyrillique prononcée par Jeanne, la nuit avançant à pas de loup devant moi.
Jeanne avait suivi Vladimir, jusque en son pays natal pour quil sy perde. Mathias rejoindra Jeanne et les restes de leur ami Vlad, un peu comme Vladivostok est au bout de la ligne. Assailli par les souvenirs, laissant jaillir ses regrets, Mathias cherchera à dompter ses sentiments. Une chevauchée piquée dhistoire Russe, lardée de littérature***, de « Slovesnost » (lart du mot). Comme un enchaud embaume à lheure de la cuisson, le parfum de la Russie charma mes naseaux et jéperonnai ma monture dacier, le ventre vide en traversant le Périgord Fiodor.
Au bout du voyage, au bout des cinq épisodes, je quittai le volant un peu saoul, brinquebalant et dès le lendemain je me mangeai à pleines dents ce court roman « LAlcool et la nostalgie », lauteur de celui qui me tombait des mains mavait ouvert un appétit grandissant au volant et jai dévoré le gros Zone.
Jattends larrivée imminente de Rue des voleurs
Juste pour voir si je suis « à crocs »
*Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, Actes Sud, 2010 - Prix Goncourt des lycéens 20105 - Prix du livre en Poitou-Charentes (source wiki)
** http://www.franceculture.fr/oeuvre-l-alcool-et-la-nostalgie-de
*** Enard cite les auteurs russes, mais pas seulement : Tolstoï, Dostoïevski, Kerouac, Tchekhov, Nabokov, Carver, Cendrars, Thomas Bernhard
Jai entendu Enard dire à la radio, que ses lectures lavaient poussé à entrer lui-même en écriture. Je le cite, à propos de son dernier ouvrage : « (
) et des livres, beaucoup de livres, qui restent, en définitive, avec le feu, la seule façon de combattre les ténèbres. » (source : http://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/rue-des-voleurs)
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