Je me suis encore une fois surpris au dernier stade de labrutissement, pensais-je hier, assis sur un tabouret de bar ikea, mon il de mérou devant l écran pointscommuns dont la lumière blafarde envahissait la pièce, à guetter un moindre mouvement, une moindre trace de vie, alors que visiblement il ne se passait plus rien, évidemment il ne se passait plus rien du tout, plus aucune trace de vie, comme cela arrive souvent alors que nous en aurions le plus besoin ; mon corps était figé sur un tabouret de bar ikea, ma conscience était figée, lespace était figé, nos visages étaient figés, ils sont éternellement figés dans des attitudes qui se veulent naturelles ou signifiantes mais qui ne sont absolument pas naturelles et ne signifient rien, des attitudes que nous avons patiemment sélectionnées avec une grande souffrance et une grande désillusion sur nous-mêmes, des attitudes sélectionnées pour la plupart dentre nous lors de linscription, c'est-à-dire au moment du plus grand désarroi, de la plus grande désillusion, au moment même où tout naturel, toute confiance et toute lucidité nous ont quitté.
Il ny avait plus que mon corps figé sur le tabouret de bar ikea, mon seul index cliquant névrotiquement sur la souris et déplaçant le curseur, lil de mérou hypnotisé ne faisant que le suivre machinalement ; et la page dune telle ou le texte dune telle souvrait, une affiche se collait sur une autre, et encore une autre sur une autre, dans un monde figé sans épaisseur ; et voici une assemblée que lon imagine aux derniers feux des festivités, grande tablée de spectres ou de marionnettes comme on en voit aux mariages, aux baptêmes, aux anniversaires, où chacun aurait son nez planté dans un verre de digestif, attendant encore que quelque chose se passe, un moindre mouvement, une moindre trace de vie, mais derrière lécran rien ne se passe plus depuis longtemps, seul le temps défile à une vitesse considérable, de quart dheure en quart dheure, il y a juste le moment qui sapproche où il va falloir enlever le masque et rentrer tout seul chez soi, un point cest tout.
Jétais figé sur le tabouret de bar ikea à guetter le moindre mouvement, la moindre particule de vie, mais comme personne na levé le doigt, comme rien ni personne na fait le moindre bruit - doù jétais je nai rien aperçu, je nai rien entendu non plus (mais jétais au dernier stade de labrutissement) - il ma fallu certainement une force considérable pour quitter brusquement le tabouret de bar ikea et ce monde sans épaisseur, quoique je ne garde aucun souvenir de la façon dont sest déclenchée cette fuite, me lever sans pensée aucune - lénergie que javais pour faire autre chose, lire, écrire ou simplement me détendre ayant été pompée dès les première secondes où javais allumé lécran pour voir ce qui se passait sur pointscommuns ; il ma fallu une force considérable pour me lever du tabouret ikea et meffondrer dans un coin, sans aucune pensée, ayant abandonné moi-même toute espèce dépaisseur, simplement conscient davoir rompu avec une nouvelle habitude médiocre et débilitante, lil de mérou encore excité par la lumière dun écran blafard dont on attendrait je ne sais quelle promesse permettant de nous fuir un petit peu plus loin ; et il m'a fallu une force et une lucidité proprement extraordinaires pour rester simplement conscient que labstraction figée, médiocre et sans épaisseur que jétais alors devenue empêcherait pendant quelques quarts dheure de plus mon corps de trouver un sommeil tout autant figé, blafard, sans épaisseur.
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