On en fait des théories afin d'essayer d' expliquer l'apparition de l'art. Le romancier et critique d'art John Berger a écrit qu'on doit la naissance de l'art à un mélange indéterminé d'extravagance et de tribulations. « C'est comme si l'art avait surgit tel un poulain qui se met à marcher dès sa naissance, ...[autrement dit] la nécessité de cet art et le talent pour le faire apparaissent en même temps. »
Je ne prétend pas parler d'art, juste signaler qu'il pourrait, peut-être, y avoir un explication bien simple. Et comme toujours, j'aime bien aller chercher dans ce que j'ai lu et vécu ; ce qui pour moi revient au même puisqu'il nous faut nous penser au quotidien à travers un langage et lire à mes yeux n'est qu'un prolongement.
Je connais quelqu'un, pour l'avoir bien connu, qui à peine âgé de trois ans, avant d'avoir appris à manier les crayons de couleur pour dessiner ou gribouiller sur une feuille, usait littéralement ses ongles en grattant d'abord, puis faisant des sillons sur les murs couverts de chaux pour y graver de petits chiens.
A force d'enlaidir et de décrépir les murs, sa mère à bout de patience le gronda un jour.
Ce genre de comportement, me semble plutôt inné, je dirais même originel : façonner dès la plus tendre enfance, depuis que l'être humain existe, avec ce qu'il a sous la main ce qui l' éblouit et l' effraie en même temps.
En ce qui concerne ce petit garçon qui vivait à la campagne, c'étaient des chiens. Comment pouvait-il en être autrement. En effet le père, le jour de sa naissance acheta un chiot qui jouait et prenait soin de lui quand il restait seul. Ils étaient comme des frères.
Voilà ce que Francisco Umbral un des plus grands écrivains espagnol du XX siècle, très peu connu en France hélas (je n'ai même pas pu le mettre dans ma liste) nous raconte dans son très émouvant livre et journal « Mortal y rosa » lorsqu'il assiste impuissant à la lente agonie de son fils :
L'enfant et les couleurs. L'autre jour il s'est assis pour peindre, avec une feuille fixée à un tableau. Et j'étais-là à regarder avec quelle simplicité, fraîcheur et sens de la nouveauté l'enfant obtient les couleurs. Il n'existe pas d'inhibition pour l'artiste juvénile . Il peint un point c'est tout. 'Si le soleil doutait un seul instant, il s'éteindrait', écrivit Blake. Les enfants sont des soleils en miniatures parce qu'ils ne doutent pas un instant. Mon fils se met face à la feuille en ignorant les siècles de peinture derrière lui. Il n'expérimente pas le poids inhibiteur de la culture. Il vient d'inventer ce mouvement, ce geste, cette manière de peindre. Il vient d'inventer la peinture.
Sa sérénité est prodigieuse, tout comme son ignorance de la dubitation et l'assurance qu'il révèle. Il peint, colorie, dessine, trempe le pinceau de-ci de-là, il le promène sur la feuille avec légèreté et liberté. Peu importe ce qu'il fait ou s'il le fait bien ou mal. L'important c'est cette merveilleuse liberté de l'enfant, la légèreté mental qui lui permet de s'approprier le monde sans effort. C'est ainsi qu'il faut créer. Ce n'est qu'en devenant l'un de ces tout petits qu'on entre dans le royaume de la création artistique. Cela a déjà été dit maintes fois, mais il est merveilleux de l'éprouver, de le vivre. L'enfant peint comme il fait de la musique ou bien compte, lentement mais sûrement (l'enfant lui n'a aucune hâte mais il ne s'arrête jamais : il a un rythme naturel).
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] L'enfant c'est la création sans angoisse. Il n'y a que lui pour créer, dessiner, peindre, sans l'angoisse du créateur, et c'est ce qui nous fascine dans les dessins des enfants, au-delà de nôtre inévitable attendrissement : l'absence d'angoisse. »
Une étude récente révèle que nos ancêtres du Paléolithique, ceux qui nous ont laissés les peintures rupestres de Lascaux et Altamira reproduisaient plus fidèlement le mouvement des animaux que nos artistes modernes. Cette étude a été mené par l'Université Eotvos de Budapest. On a comparé le travail artistique réalisé par les anciens et les modernes en examinant différents quadrupèdes. D'après cette étude, ils commettaient bien moins d'erreurs lorsqu'ils représentaient des animaux en mouvement bien que nos artistes contemporains aient bénéficié des travaux réalisés par le photographe Eadweard Muybridge qui étudia la démarche des animaux grâce à l'invention de la photographie.
Ils connaissaient leur sujet et pourtant quelle modernité, quelle liberté, quel saisissement ne ressent-on pas lorsqu'on feuillette les pages d'un de ces beaux livres sur le sujet.
Et même si les artistes modernes ont pris des libertés, il n'en ait pas moins vrai que se fut aussi le cas chez nos ancêtres.
(Cela me fait penser au sens de l'observation chez certains peuples dit primitif, mais ça sera pour une autre fois).
On a même découvert dans la grotte Blombos près de la ville du Cap en Afrique du Sud un atelier de peinture utilisé par des hommes 'primitifs' vieux de 100 mil ans. On y a trouvé différents outils pour obtenir de l'ocre et tout indique qu'ils étaient non seulement capable d'en produire mais de le stocker. Avant cette découverte, les spécialistes pensaient que l'idée de peindre était apparu il y a 60 mil ans.
S'ils étaient déjà à même de l'entreposer pour plus tard, cela signifie à mes yeux plusieurs choses. Cela devait être non seulement une pratique courante à cette époque pourtant si lointaine mais ils devaient aussi être capable de penser à 'demain', à 'plus tard'. Il a donc fort à parier qu'ils étaient aussi doués de langage. Mais là c'est moi qui m'engage.
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