Cinquante années de découvertes au hasard de tes pages.
Cinquante années de voyages communs dans le temps et dans l'espace.
Cinquante années d'émotions et de rires partagés.
Je tai rencontré en 1960. Mon père mavait dit « si un jour tu veux lire, il y a sur ce rayon de la bibliothèque des livres qui peuvent tintéresser ». Le jour est arrivé, javais dix ans et je tai pris au hasard sur létagère. Tu tappelais « Les trois mousquetaires ».
Je tai emporté dans ma chambre, je tai ouvert et il sest produit un curieux phénomène de magie. Devant moi il ny avait que des petits signes noirs sur du papier blanc et soudain je me trouvais ailleurs, à une autre époque, au milieu de gens vite familiers dont je partageais les joies et les peines. Le dernier signe noir déchiffré je tai reposé sur létagère et je tai vite repris sous un autre nom : « Vingt ans après » puis « Le vicomte de Bragelonne ».
Après Victor Hugo, Théophile Gautier, Jack London et tant dautres, jai quitté le rayon enfant pour te chercher sur toutes les étagères de la bibliothèque paternelle.
Depuis pas une journée sans que nous ayons partagé toi et moi un moment dexception. Comment, tu protestes? Oui, cest vrai il mest arrivé de te négliger parce que jétais trop fatiguée, trop malade ou trop occupée par des amours humaines ou simplement quil faisait trop beau
mais cela na jamais duré et je te suis toujours revenue, toujours restée fidèle.
Je taime sous toutes tes formes mais te préfère modeste dans lhumble habit du format de poche ou à la rigueur sobrement relié. Si tu es revêtu dune jaquette brillante, je te lenlève, que rien ne sinterpose entre toi et moi.
Je te cherche partout : dans les librairies mais aussi dans les vide greniers, à la bibliothèque ou chez mes amis. Il n'est pas nécessaire que tu m'appartiennes puisque je suis assurée de toujours te retrouver sous une forme nouvelle.
Je te choisis de préférence volumineux pour navoir pas à te quitter trop tôt .Le plus souvent je lis ta première phrase puis une autre en touvrant au hasard et soudain je sens, je sais que cest bien toi et que notre histoire damour va se prolonger page après page. Peut-être même y aura-t-il cette fois une de ces phrases si belles et si évidentes quon sy attarde et les quitte à regret, allant jusquà les consigner dans un calepin.
Jouvre une petite bouteille et je trinque à nos cinq décennies damour et aux trois ou quatre quil nous reste peut-être à partager. Pour fêter nos noces dor je toffre quelques phrases glanées au hasard de nos rencontres, jai eu du mal à les choisir car nombreux sont ceux qui taiment autant que moi et qui mieux que moi ont su lécrire.
Marguerite Yourcenar : « Le véritable lieu de naissance est celui où lon a porté pour la première fois un coup dil intelligent sur soi-même. Mes premières patries ont été des livres, à un moindre degré des écoles ».
Carlos Ruiz Zafon : « Rien ne marque autant un lecteur que le premier livre qui souvre vraiment un chemin jusquà son cur ».
Kenneth White : « Javais lu une de ces phrases qui transportent lesprit dans une sorte déternité ».
Carlos Ruiz Zafon : « La lecture est un rituel intime, un livre est un miroir où nous trouvons seulement ce que nous portons déjà en nous. Lire est engager son esprit et son âme, des biens qui se font de plus en plus rares ».
↧