Le chameau qui refuse de baraquer, épouvanté de flairer sur le bourreau le sang de sa propre mort
La femme derrière la grille de sa fenêtre, peut-être folle dans sa tête, peut-être recluse, qui fait couler dans la ruelle des mots tendres quon ne doit pas écouter
Les mendiants aveugles collés les uns contre les autres qui épuisent le nom dAllah tout le long du jour
Le tas de chiffon qui chaque nuit, dans la même encoignure de la Place, psalmodie la même voyelle rauque, à moins quil ne râle
Bien sûr, là comme ailleurs, les enfants sont beaux comme des dieux dès quils sourient.
Là nest pas la question.
La question, cest celle du voyage.
« En voyage, on accepte tout, lindignation reste à la maison. »
On na pas eu le temps de se demander ce quon en pensait que, comme ça, mine de rien, au détour dune phrase, on sursaute.
« Les bons voyageurs nont pas de cur. »
Comment cela ?
Tiens, cest vrai, quand on a rangé toutes les cartes si délicieusement pittoresques, si amoureusement choisies, que reste-t-il ?
Quant aux albums des autres
Les voix de Marrakech, elles, vous troublent le cur, ou lesprit.
Durablement, cest à craindre.
On les lit avec étonnement comme on lirait le manuscrit quun voyageur aurait oublié sur la table de nuit.
Il me semble que cest lhistoire dun étonnement laconique, on peut y entrevoir le cur des choses.
Autrement dit, un voyage.
Le chameau ? Il avait la rage.
(Londres. 1967/ Albin Michel. 1980)
↧