Lina enviait à Jérôme sa sociabilité. Elle repensait à leur rencontre. Elle avait eu de la chance d'être la première à se rapprocher de lui. Sans ce premier pas, d'autres amitiés seraient nées, d'autres sentiments auraient éclot, pour son plus grand chagrin. Elle n'était que la possibilité choisie par le destin. Tout ce qui arrive l'est, mais dans cette inconscience qui maintient le vertige du présent, cette inconscience qu'elle venait de perdre. Jérôme se serait attaché à d'autres aussi simplement qu'à elle. Il se liait à autrui dans une atmosphère d'évidence. Il n'avait d'autre image que celle d'une âme sur. L'affection qu'on lui vouait paraissait naturellement exclusive, tandis que la sienne, parce qu'il l'aurait donné à d'autre avec la même facilité, la même douceur, recelait inévitablement quelque chose d'infidèle. Il pouvait aimer tout le monde. Quelque part, il n'aimait personne.
Lina restait muette. Elle en était bien consciente. Lui aussi, il aurait un jour la force de l'abandonner et de s'en relever. Il en souffrirait certainement, mais pas autant qu'elle, pas au seuil de la folie. Son flegme insupportable ne se fissurait pas. Son père, son frère, lui avaient tourné le dos, l'avaient insulté, traité comme un moins que rien, et il ne les détestait pas.
Elle se souvenait que ce jour là, lorsqu'elle l'avait vu assis sur ces marches d'escalier, elle s'était sentie sauvée de la solitude. Elle s'était blâmée de ne pas oser l'aborder comme on se blâme de regarder passer la chance. Cette culpabilité avait fini par la délivrer de sa torpeur. Lui, si unique à ses yeux, il l'avait froidement éliminée de son horizon, comme une option quelconque, pour tout lui donner l'instant d'après, jusqu'à l'illusion d'un amour désiré à leur place par la providence...
↧