Jamais je n'ai été autant émue par quelqu'un que par B. Et sa voix. Sa voix grave et mélodieuse.
Pour B. sa voix était son outil de travail. Il était acteur. La première fois que je le vis, c'était à la télévision et j'ignorai que le rencontrerai quelques années plus tard.
B. était d'une beauté incendiaire. Il ne draguait jamais une femme. Il était cultivé. A défaut d'être drôle, il était sensible à l'humour... Bref. Toutes les femmes l'adoraient. Je sais qu'à la Comédie Française où il resta quelques temps, il fit battre bien des curs.
Evidemment, je le trouvais très beau. Comme acteur, je le trouvais un peu trop prévisible. Mais, un soir, je l'entendis dans une fiction sur France Culture. Lisant. Non interprétant un texte de Pierre-Jean Jouve. Trente ans après je me souviens encore du trouble que j'ai éprouvé. Sa voix était plus belle encore que son apparence. La voix de B. m'a faite rêver.
J'ai rencontré B. au cours d'un travail que j'effectuais sur les archives de la Comédie Française. Nous sommes restés un après-midi chez lui à discuter. Munie d'un magnéto, je l'ai écouté et questionné à propos de la Grande Maison. Je buvais les paroles de B. pendant que lui n'arrêtait pas de siroter un Bordeaux. Il tenait le cap. J'ai compris qu'il avait l'habitude de boire. Trop. Il avait 40 ans. Il était toujours magnifique mais sa beauté commençait à se faner. Il travaillait moins, commençait à être moins sollicité. Voulant voler de ses propres ailes, B. avait quitté la Comédie Française. Cet immense risque n'avait pas "payé. Il faisait de la synchro, domaine qui me passionne depuis ma prime jeunesse.
A la fin de ce long entretien, le charme était rompu. Certes j'étais sous le charme mais plus réellement de cet homme mais surtout de sa voix. J'ai décidé de prendre de la distance avec B. Je crois avoir bien fait d'autant que les évènements qui suivirent semblent me donner raison.
J'ai moi même connu les affres de l'alcool. Très longtemps. Je m'en suis sortie après douze années de lutte avec moi-même. En mai prochain, je célèbrerai mes dix ans de sobriété avec du Perrier.
Mais B. n'a pas eu cette chance. Il a continué. Il devenu énorme et empâté. Son visage était bouffi. Je savais par son entourage qu'il était tout le temps dans le déni. B. est tombé gravement malade. Il est mort il y a cinq ans.
Un évènement étrange s'est produit après son décès : j'étais chez moi, occupée à cuisiner quand, j'entendis la voix de B. dans le poste de radio. C'était une rediffusion d'une vieille émission. Je ne m'attendais pas à entendre sa voix. J'ai laissé tomber les assiettes qui se sont brisées.
Depuis, il m'est arrivé de l'entendre à nouveau en regardant de vieux films ou séries télé. Etrange.
A l'instar de "Dalila" dans l'opéra de Camille Saint Saens, je peux dire qu'encore maintenant "Mon cur s'ouvre à ta voix comme s'ouvre les fleurs". J'ai conservé l'enregistrement que j'avais effectué avec lui. Je l'écoute parfois, toujours émue aux larmes.
J'ai trouvé par le biais de l'INA, Youtube, des séquences où je le vois et l'entends. Tous ces souvenirs sont dans ma "chambre verte", là où je rassemble ceux des êtres que j'ai aimés.
Le pouvoir de la voix est réel. La voix permet de s'exprimer et de faire rêver, de suggérer parfois plus que de dire. Et lorsqu'il s'agit d'un acteur, sa voix est conservée à tout jamais.
Merci à vous, cher B. de me faire toujours rêver. So long...
↧