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Nous n'irons plus... par Novaplanet

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Lui et moi entretenions une relation charnelle. Il m’est difficile de dire, même huit années plus tard, si nous étions amis. Des amis sont supposés être à l’écoute l’un de l’autre, n’est-ce pas ? Nous étions attentifs à nos désirs. Pour le reste, si j’ai été une oreille patiente dans certains moments délicats de sa vie, je ne me souviens pas qu’il ait jamais manifesté une inquiétude à mon sujet. Le désir est une éponge qui absorbe toutes les aspérités. Il se passa quelque chose. C’était l’hiver. Je n’arrivais pas à percevoir si cela provenait de lui ou de moi, simplement la relation prenait froid. Me vinrent des hypothèses bancales, des élucubrations qui me tirèrent vers la sortie, peut-être par dépit. « Laisse-le » répétait ma petite voix intérieure, « Sauve-toi doucement, sur les pointes, prends garde à ne pas éveiller les regrets et surtout ne cherche plus son ombre à l’aune du réverbère. » Ses mille et une promesses sans réalité se dévidèrent sans éclat ou s’envolèrent comme des bombyx mûris dans la soie. Quand il dit vouloir me rappeler ou me voir pour en définitive ne pas le faire, à la longue cela ne me toucha plus, je n’y prêtai guère attention ou affichai un sourire tranquille. « Je te rappelle dans une seconde » cela voulait dire « Je mets un terme à cette conversation », ni plus, ni moins. Je me suis demandé pourquoi il éprouvait ce besoin de dire quelque chose qui ne correspondait en rien à la réalité de ses projets. Quel en était le ressort? Quel sens détourné fallait-il décrypter ? Était-ce une manie comme une phrase tic ? Une incapacité à dire les choses dans leur réalité ou bien se mentait-il autant qu’il voulait me tromper ? Était-ce une manière de se débarrasser d’une situation dont il n’avait plus envie ? Était-il tout simplement cynique ? Quand je me risquai à le lui demander, il répondit : « Je suis dans le présent, je vis le présent » avec la conviction maladroite d’un champignon à la Saint-Exupéry « Je suis un homme sérieux, je suis un homme sérieux… » Après un Noël, il ne se manifesta presque plus. Le fil se distendit, perdit de son élasticité, de sa capacité à broder de rouge, de vert, de violet ou de blanc irisé les marbrures de la chair et les envolées se raréfièrent. Un truc s’était usé, la potion s’était-elle éventée ? L’inventé dans sa bouche n’eut bientôt plus que le relief du mensonge, son imagination, auparavant si fantasque, singea le grotesque se prolongeant en soupirs clownesques qui flirtaient avec un rire de trépassé. Un jour, il me noya derechef dans un flot d’images scabreuses, qui déclenchèrent mon hilarité, il repoussa mes rires, redoubla d’une énergie paillarde, je m’accrochai à mon esquif, je n’en décrochai pas, ne sombrai qu’en simulacre, je dissimulai et il poursuivit l’ascension, escalada la lubricité, je le regardai forcer des portes brûlantes, frotter compulsivement son désir comme une lampe à huile, restant aussi désespérément mutique qu’une toile cirée. Il pataugea dans la bauge sans voir que je ne le suivais plus. Rivé à sa bandaison comme elle me fut un hameçon dans l’oeil, il fit apparaître des marionnettes démembrées, des personnages taillés à coup de serpe, la grosse bertha et son artillerie décomplexée, il l’anima d’un rôle de blonde et je la vis comme une grossière Gretel qui bourre son boyau. Il l’emmancha d’un vieil Hansel craquelé, pain d’épices mouillé et il aurait voulu que ces images m’émoustillent alors que je me noyais dans l’eau grasse, submergée, il me devenait étranger. Je ne bus pas la tasse, je restai sur ma barge à fleur d’eau, les bras autour des genoux, je dégouttai. Que venaient faire ces figures de papier mâché encore humides de vernis bon marché ? Pourquoi les introduire dans notre cour carrée sans même m’en alerter, on aurait dit un couple en goguette rencontré au comptoir et ramené à dîner. Il me vit faire le nez. Mais il voulait toujours tenir la barre, courir le guilledou jusqu’au bout. Il changea de cap, vira l’image des pochetrons fanés et fit émerger un autre décor : « la Plage », rancie d’avoir trop servi de lupanar, comme un poster mural où le cocotier fait office de mât de cocagne, « Pour qui ce joli panier garni ? » Saucisse et Saucisson comme deux larrons en foire, deux qu’il fit grandir sous mon nez quand mon désir se ratatinait lamentablement en me disant « Tu n’entends rien à mon silence, tu n’entends que ces mensonges qui s’essoufflent à botter en touche. Qu’on en finisse !» Je connaissais toutes les ficelles qui le menaient au petit sommeil. Je battis le rappel des vocalises chuchotées, piaulements, vagissements, jappements, anhélation. « L’as-tu cru mon petit loup ? » Je n’en étais pas si sûre, mais sa respiration s’emballa, hoqueta, éructa, en fin mourut en quinte comme un décrochement de falaise. Il expectorait plus qu’il ne jutait. J’aurais cherché longtemps, trop cherché, trop longtemps, trop attendu l’émergence. Mais rien ne vint, j’eus beau planter, bêcher, retourner la terre, rien ne poussa sur ce terreau que le tombeau qu’il y creusait. Mon impuissance, fleurie de mandragores, s’éloigna de son lopin de narcisses en chantant : « Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés, la belle que voilà ira les ramasser, entrez dans la danse, voyez comme on danse, sautez, dansez, embrassez qui vous voudrez. »

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