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5 extases (dans le temps et hors du temps) par Abicyclette

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1. (25 septembre 2000) La lumière blanche inondant une pièce vide, son carrelage aseptisé, ses grandes vitres d’hôpital entre ciel et béton. Un homme debout incarnant simplement sa fonction d’hominidé, enveloppant de ses bras la vie qui, en retour, l’enveloppe de son édredon d’innocence. Fragilité indestructible, nous naissons l’un à l’autre. Le calme. L’évidence. La pensée en arrêt. Rien n’est (n’a été, ne sera) qu’une unique pulsation, un seul souffle. Atrottinette, bébé-bouillotte. 2. (un hiver) Seul en montagne, sur un chemin perdu descendant vers le village. Le vent est tombé, d’infimes sons mats deviennent perceptibles. Le torrent murmure doucement en bas des gorges. La voie s’encaisse entre des masses colossales qui me mangent progressivement. Lentement je me dissous. Enfin ne reste plus rien que la stupeur de la joie, son sourire béat et incrédule : cet arbre c’est moi, cette pierre loin là- bas c’est encore moi et, ce creux entre les roches, j’ai épousé sa forme pendant des milliers d’années. 3. (vers 18 ans) Partageant le jardin en deux longs rectangles, le chemin d’ardoise que je parcours en remontant vers l’escalier de la terrasse. Une sonnerie retentit. C’est la famille, père, mère, frères qui reviennent d’un là-bas. Des paquets de pluie se déversent. L’espace se liquéfie. Je m’apprête à monter la première marche. Les cloches de la 2è symphonie de Mahler - « Résurrection » - commencent alors à battre à pleine volée. J’ouvre grand la bouche, les yeux, me pétrifie. L’eau continue à ruisseler sur le crâne d’une statue. 4. (août 2005) Les arbres, la terre de la campagne. Figé dans l’ombre, en appui sur les notes étirées d’un râga, quelque chose de mental observe avec amour et bienveillance. Des gouttelettes suspendues dans l’air vibrent du plein été. Soleil, jeux d'eau, bataille de petite piscine, rire clair des enfants heureux. D’un coup, on appuie sur le déclencheur : photographie surexposée pour l’éternité. Pourtant amour et râga continuent doucement à se déployer. Serait-ce la coexistence d’évènements dans le temps et hors du temps, sur ces quelques mètres carrés de terre odorante, qui a fait naître ainsi cette sorte particulière d’extase ? 5. (à volonté) …par le poème d’Alexandre Scriabin, après que toutes les strates se soient mises à vibrer, et, qu’à grands coups de cordes, cuivres, bois, gong, cœur, cerveau, ciel et terre réunis aient explosés leurs matières – supernovae ou reproduction des oursins - vient apaisée, mi bémol-ré, la seconde descendante houlant comme une plainte, lente reptation vers une jouissance toujours recommencée, …ou par Mozart, les dernières minutes de son ultime symphonie, quand les entrées successives de tous les thèmes combinent un assemblage longtemps espéré, reflet d’un monde total, parfait, saturé de sens, débordant l’esprit de toute parts, bien que l’intuition le sache peut-être compréhensible, « c’est donc cela ? » « c’est donc possible ? » lorsque la fourmilière m’explose alors dans l’estomac, répandant à flot ses acides vers tous mes membres, que mon corps est presque devenu un au-delà physique, que la déraison frôle tous les bords de ma conscience, et que des larmes montent enfin.

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