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Album photos par Annaconte

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1. Là c’est moi sur la photo, dans les bras de ma mère. Je viens de naître, j’ignore où est mon père, ce n’est pas lui qui prend la photo, il est parti fêter ma naissance avec ma grande sœur et ses amis, il y a bal et feu d’artifices au Cercle du quartier. En vérité il voulait un garçon. Ma mère reste seule avec moi, qui suis venue au monde cyanosée et que la sage-femme a du taper pour que je veuille bien respirer. _ 2. Là, c'est moi, couchée, avec à la tête du lit peint en rose, une hirondelle en fer blanc qui s’agrippe à mes cheveux pendant la nuit. Ma mère m’a mis de l’aloès sur les pouces pour m’empêcher de les sucer. Je pleure tout mon saoul jusqu’à ce que l’on vienne me nettoyer les doigts, les parents doivent se lever tôt et il leur faut dormir un peu. Tout à l'heure, mon père ne viendra pas m'embrasser sur le front, trop pressé de partir. 3. C’est moi à deux ans, sur la terrasse, mon cheval à bascule avale les morceaux de pain que je dépose dans sa bouche ouverte. Mon air stupéfait rend la famille hilare. Mon père est magicien et je ne le sais pas encore. 4. Là c’est moi assise, avec bonnet et écharpe, sur les marches de ma classe maternelle. Il est seize heures quarante. La directrice s’agite et je vois bien qu’elle est agacée: ma mère n’est pas venue me chercher. Ce n’est pas la première fois. 5. C'est moi, à six ans, « l'âge où tout est joué, dit-on, la personnalité acquise ou constituée ne changera plus. L'enfance, dit-on encore, l'âge du bonheur simple et de l'insouciance, de l'émerveillement garanti ». Ma camarade d’école m’a frappée, je m’en plains à maman qui m’apprend à me défendre. Cours de lutte : se baisser pour éviter une gifle et donner un coup de poing dans le ventre de son agresseur. Agrée-sœur ? Ne m’en parlez pas. Ma sœur pourrait être ma mère, elle a quinze ans de plus que moi, elle me shampouine les cheveux avec une rage peu commune, me rince à l'eau glacée, (ne fais pas ta chochotte). Pour finir elle me lance une chiquenaude derrière les genoux qui me fait plier en deux. C’est un rite. C’est amusant.....(dit- elle). 6. C’est moi en colonie de vacances. J’y reste deux mois. Le jour de la visite des parents, on m’apporte un colis rempli de bonbons que je partage avec mes camarades. Il y a aussi une lettre de maman, qui m’embrasse et s’excuse de ne pas pouvoir être là. Elle viendra avec papa dans la semaine et m’emmènera au restaurant, avant de me rendre à la colonie pour un autre mois. J’ai eu six ans le second jour de juillet et on ne m’a pas souhaité mon anniversaire. 7. Là c’est la distribution des prix. Cours élémentaire. C’est un premier prix d’honneur. Je reçois un livre rouge doré à l’or fin. Ma mère n’est pas là. Je ne le sais pas encore. Je la cherche des yeux. 8. C’est moi à neuf ans, je crois, ou dix, « difficile à dire ». C’est le soir en tout cas, à la salle des fêtes, je danse en tutu blanc sur une chorégraphie simplifiée un extrait de Casse-Noisette. Mon costume est cousu et apprêté précipitamment dans la coulisse. C’est la maman de mon amie qui m’habille, me coiffe et me maquille. Les familles sont toutes au rendez-vous. Jusqu’au dernier moment, j’espère que maman va arriver à temps. Je scrute les travées. Toutes les autres mères sont assises devant, au premier rang. Ca y est, la voilà, elle se faufile au fond, pour ne pas déranger. Elle n’a pas même ôté son manteau. On éteint les lumières et je ne peux plus la voir. Je danse pour les mamans de devant. Qui n’ont d’yeux que pour leurs filles. Je ne serai jamais Margot Fonteyn tournoyant avec Noureev. Je trouverai ailleurs un public . 9. C’est moi à onze ans. Je m’essaie au théâtre devant le miroir de l’armoire de la chambre de maman. Je porte une de ses robes et ses talons aiguilles. J’embrasse mon reflet sur la bouche pour y contempler l’empreinte de son rouge à lèvres. Mes poupées applaudissent. Sauf une, que je viens de punir, de frapper et de jeter au fond du placard. Maman la fera réparer plus tard à la clinique des poupées Bella, mais ses yeux de verre resteront inexorablement ouverts sur ma turpitude, on les lui aura fixés définitivement ainsi que sa perruque trop malmenée. C’est la poupée de ma honte. Mon souffre-douleur. Ma revanche. 10. C'est moi, à l'âge de dix ou douze ans, devant la maison « sur le coup de midi en tout cas. Les rayons du soleil tombent verticalement, je suis comme auréolée de lumière et mon chien est couché à mes pieds. » On va passer à table. C’est un souvenir heureux , il y a la famille autour de moi, je suis la reine du monde. Je viens de recevoir un vélo neuf. Rouge. 11. C'est moi à travers la grille du patronage « protégé par de hauts murs qui arrêtaient le temps » et la ronde du monde . J’apprends à être une bonne chrétienne. l'histoire de Jésus et de tous ses saints tient lieu de nourriture. Le curé en robe noire veille au grain. Et m’apprend à le séparer de l’ivraie. Pour moi la grande question de l’existence de dieu est vite résolue, je comprends très tôt que le prêtre ment quand il soutient que dieu préside à tout, presque à lui-même...Dans le confessionnal, je n’avoue rien à part le péché de gourmandise et de désobéissance. Je récite trois Ave avec délectation. J'aime la musique des mots. 12. C'est moi, le jour de mon arrivée au lycée. Restée seule dans la chambrée (tandis que la pionne fait descendre les internes en rang d’oignons et en silence vers l’étude) je lis Rousseau Le Promeneur Solitaire, ce qui me vaut d'être punie le soir même. Et définitivement cataloguée rebelle. 13. C'est moi, je porte cet ample manteau marron en laine assorti à mes collants, avec lesquels je rasai les murs pendant dix ans. La mode est alors aux bas de couleurs et au blouson en peau, et je dois être la seule à faire preuve de tant d’élégance. Mes copines ne se moquent pas. Peut-être me plaint-on ? 14. C'est moi, « sur fond de paysage alpestre, en compagnie de mon amie Boule. Un voyage que nous fîmes au sortir de l'adolescence, pour en sortir. Nos silhouettes sont à peine ébauchées, mais le torrent derrière nous témoigne déjà d'une originalité certaine ». Notre tente en grand désordre augure d’un parcours des plus cahoteux. Et ma coiffure échevelée d’une grande liberté nomade. 15. C'est moi, teinte en rousse dans un parc. Je viens d’avoir dix-huit ans. C’est l’été, les vacances. Je passe mes journées à écrire des lettres à mes amis. A la rentrée prochaine je ne suis plus interne. Pour moi la vie va commencer. 16. C'est moi, je passe une cigarette à Claudine. Qui la passe à Jean Paul. On est tous potes, et on a passé la nuit à la belle, à regarder le ciel : l’Homme vient de marcher sur la lune. On trinque. Dommage. J’ai égaré des albums dans les déménagements. Je ne les retrouve plus. D’un coup on passe à ces dernières années. Le temps passe vite. 17. C'est moi devant l'âtre, et c'est l'hiver, je lis Sénèque. A ma gauche, empilés sur la table de cuisine, des livres lus cent fois — que je préfère alors aux importuns. Mes carnets de coloriage et de dessins abstraits. Mon chat. Mon chien. Je suis en passe de devenir misanthrope. Comme dirait Chevillard « pour faire cuire un œuf, mes amis, plongez le trois minutes dans l’eau bouillante » . 18. C'est moi, là, en tête de page, sur le profil de Pcc, avec mon air des meilleurs jours. Je suis plutôt sympathique, normale, presque bienveillante. Ce qui ne m'arrive pas souvent. J'ai les yeux brillants, un sourire d’enfer. Mais voyez aussi dans ma galerie, et vous serez fixés, mes autoportraits grincheux... 19. « C'est moi, à ma table de travail. Je tourne le dos à ma bibliothèque — assez lu —, j'écris moi-même, légèrement penchée pour une meilleure pénétration dans l'air, le front lourd » mais les doigts légers sur le clavier. « À portée de main, mon matériel de bureau : un crâne intégral, avec les trente-deux dents du sourire et les trente-deux de la grimace », une photo de Chéri, une tasse de thé, un dictionnaire, mes lunettes. 20. C'est moi en train de dormir. Ou de mourir je ne sais plus. Tout va bien. Pourtant je rêve qu’on me poignarde au cœur, le sang gicle et la douleur est fulgurante. Sur une échelle de 1 à 10, on me demande, je réponds 9. On me met sous morphine. C’était une simple piqûre de puce sous le sein. Clin d'oeil à Amilgo (cf Epitaphe pour un internoyé) et Chevillard dont je me suis largement inspiré mais sans son génie :( Et à Cyrulnik pour sa résilience ! :):):)

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