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L'homme brisé par Lola lola

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Je remets en ligne deux textes que j'avais écrit sur deux bouquins, Mille Morceaux de James Frey et Lark et Termite de Jayne Anne Phillips, deux livres que je souhaite faire découvrir à des personnes absentes sur le site au moment de la parution de mes commentaires, si ça peut leur donner envie de les lire.... Amicalement votre :) Eden et Lola Il fallait toujours qu'elle commente les manifestations de son corps, fascinée par ses transformations, ses bouleversements, sans cesse étonnée. Aujourd'hui le sang coulait de son ventre dans un flux chaud et moite et elle se croyait rivière, alimentée par une source secrète, concentrée sur le parcours du ricochet des cailloux contre ses ovaires jusqu'à l'écoulement final au parfum de végétaux stagnants dans l'eau glacée. Consciencieusement au fil des années, Lola avait recensé, répertorié et assimilé aux éléments naturels chaque plaisir, chaque tension, chaque satisfaction, chaque douleur. Un jour Eden s'était levée brusquement en criant " j'ai des fourmis dans les jambes" et Lola avait vu et perçu dans son propre corps une armée de fourmis noires conquérantes et besogneuses lui grignoter les orteils. Elle les avait senties le long de ses veines, longer ses nerfs à fleur de peau pour finir par lui paralyser la jambe. La moindre manifestation, un léger bruissement, l'onde la plus infime qui résonnaient dans son corps donnaient lieu à une interprétation d'images ou d'odeurs. Lola n'avait jamais été triste d'être muette, elle s'était inventée un monde de sons singuliers qui ne se découplait jamais du reste de ses autres sens. Un soir qu'elle revenait de son école spécialisée où la maîtresse avait tenté dans un premier temps, de lui inculquer le principe de la division au moyen de sa voix mielleuse ( au début elle n'avait pas compris pourquoi ce terme était péjoratif mais en se concentrant sur le miel qui recouvrait ses cordes vocales, elle avait établi un parallèle avec la voix sirupeuse et le sucre qui avait fini par lui râper et lui brûler le fond de la gorge) pour finir dans un deuxième temps par descendre dans les graves et lui hurler dessus qu'elle était « bonne à rien », elle s'était félicitée de ne pouvoir sortir aucun son. Parfois elle imaginait que sa voix était bleue et sentait le thym, parfois elle la coloriait de teintes plus vives et d'odeurs plus musquées, jamais elle se ne lassait de la faire vivre dans une palette de nuances et de parfums étendus. Eden parfois lui laissait utiliser ses pastels et sa voix imaginée se traduisait par une débauche de couleurs que même l'arc- en- ciel aurait semblé pâle à côté. Un jour elle savait qui lui faudrait quitter Eden et la maison au bord de l'eau mais elle emporterait partout emmagasinée dans sa mémoire et gravée dans son corps, la trace sensitive de ses souvenirs. Texte inspiré par le livre Lark et Termite de Jayne Anne Phillips mais ce n'est pas un résumé, j'ai confondu, mélangé intentionnellement les histoires, celles du livre et celles que le livre a provoquées. L’homme brisé J'ai 50 ans, hier soir j'ai réussi à bander sans avoir bu. La première fois que j'ai avalé une gorgée de vin c'était au Centre, maintenant ils disent Institution, entre gosses on disait Centre, c’est vrai normalement nous aurions du être au centre des préoccupations, des attentions, des considérations et pourtant la plupart du temps nous étions des laissés pour compte, zéro + zéro = zéro. Je m'en souviens encore, Nico avait piqué une bouteille au réfectoire à la table des éducs et l'avait ramenée dans le dortoir, calée entre ses cuisses, une couverture recouvrait le tout : ses jambes maigres, la bouteille et presque les roues du fauteuil, il a bien failli se prendre la couvrante dans les rayons ce con là, il s'en foutait un peu Nico de se prendre des gamelles c’était un dur à cuire. Quelques mois auparavant je fumais ma première cigarette, oh ! la douce brûlure de la clope, le tabac et l’alcool allaient devenir mes tuteurs, ma famille d’accueil, mon père et ma mère. j’ai su lorsque le liquide un peu épais a tapissé le fond de ma gorge puis les parois de mon estomac que rien d’autre ne me procurerait cette chaleur, ah ! la bouffée de rouge aux joues du vin ! J’ai 50 ans, hier soir j’ai réussi à baiser sans avoir bu. Quelques années plus tard j’ai découvert l’euphorie procurée par le shit, et comme rien d’autre ne m’intéressait que de me réchauffer et rire, je n’ai plus cessé ni de boire ni de fumer. Je suis né à l’hôpital comme la majorité des individus mais je n’en suis jamais sorti, je suis tombé malade par négligence médicale, j’ai été ballotté de mains en mains, langé, nourri, manipulé sans tendresse, scruté, harnaché, sanglé, attaché, plâtré, corseté, découpé, mon corps ne m’a jamais procuré que douleurs et contraintes, il ne m’a jamais vraiment appartenu, je ne me regarde pas, j’évite les miroirs. L’ivresse m’a donné un corps, l’ivresse m’a fait sentir et connaître le plaisir, la bouteille comme unique assurance d’une compagne fidèle. J’ai tout enduré, le froid, la faim, les privations de liberté, le manque d’amour, la solitude épaisse et gluante, le rejet, la honte, le deuil, les sévices, les humiliations, les viols, la crasse, je n’aurais jamais pu supporter sans l’alcool et mes minables copains d'infortune et de boisson. J’étais un enfant terrifié, j’ai endormi la terreur et l’horreur a pris sa place. L’horreur du manque, du comportement des hommes et de la solitude glaciale, encore. Mais j’ai 50 ans et hier soir j’ai réussi à faire l’amour sans avoir bu. * Très librement inspiré par le livre de James Frey, Mille Morceaux.

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