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Le vieux misanthrope qui puait la pisse (1/4) par Abicyclette

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Un tableau de Magritte. Il y a deux heures des milliers de blocs de terre ont commencé à s’abattre sur la ville. D’abord énormes, puis très gros. Maintenant de la dimension d’une voiture. De belles trajectoires verticales zèbrent un ciel très bleu. L’immeuble n’a pas été touché. Des toitures ont été emportées en face, à droite, à gauche, partout. De mes fenêtres, là-haut, la position est confortable. Aux premiers impacts la mère Duchmoll, du second, est sortie en hurlant, certainement pour rapatrier sa gosse de l’école. Je l’ai suivie du regard zigzaguer une cinquantaine de mètres dans le chaos de l’avenue, et paf ! En voilà une que je n’entendrai plus. Des têtes incrédules tentant de circuler en rasant les murs, des autos en travers, des bus abandonnés, quelques cris vite étouffés, blessés laissés à leur agonie, tous aux abris, l’impression de panique n’a pas duré plus de cinq minutes. Depuis il semble que je sois seul ici, personne ne moufte. En un certain sens quel calme, quel bonheur ! Deux heures de bombardement intensif et les moteurs se sont tus, les sirènes d’ambulance se sont tues, tous les bruits de la ville se sont agenouillés, déférents, devant la lourde charge des barbares. L’ensevelissement est en cours, pelletées après pelletées jetées sur la fosse commune. Les rez-de-chaussée ont disparu, on commence l’inhumation des premiers étages. Plus d’électricité, bientôt plus d’eau c’est à parier, aucune information, aucune communication possible. L’étrange désastre qui va anéantir notre fourmilière a surgi, totalement incompréhensible. Mais au fond personne ne devrait en être étonné : voilà le jour du grand coup de propre qui emporte toute la crasse sottise du monde. Noblesse et grandeur du vaste cimetière sous lequel confisent dans leur jus tous ces décérébrés qui s’agitaient en tous sens, à toute occasion, gesticulant hier encore leur petite vie médiocre. Je les imagine se serrer, bientôt asphyxiés, qui dans les caves, qui dans le métro, qui dans un chez soi ou un bâtiment administratif, condamnés enfin à l’immobilité, à la sagesse, la méditation, du moins faut-il leur souhaiter. Et mes enfants ? Sont-ils écrasés, réduits en bouillie mes chers petits qui passent voir une fois par trimestre le grand appartement - et le vieux aussi, par acquis de conscience – mais surtout le grand appartement dont je n’occupe plus que l’une des pièces, la cuisine ; le grand appartement qui sent la pisse, la pisse du vieux, et dont ils espéraient un jour l’héritage ? Je ne sors plus – je le pourrais encore avec un minimum de volonté, mais je répugne à me mêler à la foule, laquelle répugne à se mêler à moi, finalement on s’entend bien – je me fais livrer des conserves. Des boîtes, des boîtes, des boîtes : je pourrai tenir des mois. Rien n’arrivera ici. (...)

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