Un tableau de Magritte.
Il y a deux heures des milliers de blocs de terre ont commencé à sabattre sur la ville.
Dabord énormes, puis très gros. Maintenant de la dimension dune voiture.
De belles trajectoires verticales zèbrent un ciel très bleu.
Limmeuble na pas été touché. Des toitures ont été emportées en face, à droite, à gauche, partout.
De mes fenêtres, là-haut, la position est confortable.
Aux premiers impacts la mère Duchmoll, du second, est sortie en hurlant, certainement pour rapatrier sa gosse de lécole. Je lai suivie du regard zigzaguer une cinquantaine de mètres dans le chaos de lavenue, et paf ! En voilà une que je nentendrai plus.
Des têtes incrédules tentant de circuler en rasant les murs, des autos en travers, des bus abandonnés, quelques cris vite étouffés, blessés laissés à leur agonie, tous aux abris, limpression de panique na pas duré plus de cinq minutes.
Depuis il semble que je sois seul ici, personne ne moufte. En un certain sens quel calme, quel bonheur !
Deux heures de bombardement intensif et les moteurs se sont tus, les sirènes dambulance se sont tues, tous les bruits de la ville se sont agenouillés, déférents, devant la lourde charge des barbares.
Lensevelissement est en cours, pelletées après pelletées jetées sur la fosse commune. Les rez-de-chaussée ont disparu, on commence linhumation des premiers étages. Plus délectricité, bientôt plus deau cest à parier, aucune information, aucune communication possible. Létrange désastre qui va anéantir notre fourmilière a surgi, totalement incompréhensible. Mais au fond personne ne devrait en être étonné : voilà le jour du grand coup de propre qui emporte toute la crasse sottise du monde.
Noblesse et grandeur du vaste cimetière sous lequel confisent dans leur jus tous ces décérébrés qui sagitaient en tous sens, à toute occasion, gesticulant hier encore leur petite vie médiocre. Je les imagine se serrer, bientôt asphyxiés, qui dans les caves, qui dans le métro, qui dans un chez soi ou un bâtiment administratif, condamnés enfin à limmobilité, à la sagesse, la méditation, du moins faut-il leur souhaiter.
Et mes enfants ? Sont-ils écrasés, réduits en bouillie mes chers petits qui passent voir une fois par trimestre le grand appartement - et le vieux aussi, par acquis de conscience mais surtout le grand appartement dont je noccupe plus que lune des pièces, la cuisine ; le grand appartement qui sent la pisse, la pisse du vieux, et dont ils espéraient un jour lhéritage ?
Je ne sors plus je le pourrais encore avec un minimum de volonté, mais je répugne à me mêler à la foule, laquelle répugne à se mêler à moi, finalement on sentend bien je me fais livrer des conserves. Des boîtes, des boîtes, des boîtes : je pourrai tenir des mois. Rien narrivera ici.
(...)
↧