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Les anonymes / Dernière tranche de la vie de Mohamed par Loumir

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Char irréversible mezzo babalitos bonbon fresque écouvillon butiner résonance échanson C’était une petite frappe, beau comme un ange qui n’aimait rien tant que butiner de filles en filles. Une vraie gueule d’amour, comme dans une chanson d’Edith Piaf. Le travail, ce n’était pas pour lui, trop fatigant, trop salissant. Trop tout ! ou pas assez. Alors il vivotait de petits larcins et se faisait l’échanson des cadors du commerce illicite. Tantôt grand seigneur, quelques fois moins mais jamais désargenté car il bénéficiait toujours, dans les périodes peu fastes, des largesses des femmes de la famille, coupables sœurs et maman. Je tentais de lui parler de droit chemin, d’argent honnêtement gagné et il me riait au nez ‘’arrête ton char, tu me vois sur les chantiers ? ‘’ Ce dont il avait envie de me causer, c’est, en vrac, de ce qu’il aimait : Les belles bagnoles, les petites blondes peu farouches, les babalitos au rhum, les vacances à la mer, les bonbons à la réglisse, Jacques Brel et Jane Rhodes, la fameuse mezzo-soprano (là je ne crois pas que c’est sa voix qui le chavirait, mais une photo d’elle qu’il avait vue… sa plastique irréprochable. Ne disait-on pas qu’elle était la Bardot de l’opéra ? ). Ce qui devait arriver, arriva. Les gendarmes étaient venus l’arrêter. Il est resté un mois en prison. Le jour de son retour, je l'observais derrière la vitre de mon bureau, je ressentis la résonance de funestes augures. Tous les hommes s’étaient donné rendez-vous là, dans ce terrain vague, l’espace pas vert de la cité. Et que je te congratule, et que je te complimente. Mohamed, en héros du jour, saluait comme sur une pathétique scène de théâtre. Nous reprîmes nos conversations quotidiennes, il me racontait la taule comme une grande fresque. En peu de temps, il avait beaucoup appris, il était devenu plus dur. Un jour je ne l’ai plus vu. Il était tombé, encore, de nouveau, inéluctablement. Son séjour à l’ombre a duré plus longtemps ; les histoires de carnets de chèque volés, ça ne pardonne pas. Je ne l’ai pas revu. Il est mort le jour de sa libération, l’irréversible était arrivé. Sa mère était inconsolable, je lui rendais visite chaque jour et chaque jour je voyais la folie la gagner. Son fils avait été assassiné ! Démunie face à ce fantasme, à cours de paroles apaisantes et ne doutant de rien du haut de mes 25 ans, j’avais écrit à l’Elysée, Monsieur le Président de la République… Contre toute attente, mon courrier avait voyagé, au Ministère de la Justice puis à la prison d’Aurillac. C’est ainsi qu’un jour je reçus, de là-bas, l’appel d’une assistante sociale qui m’expliqua qu’un document très circonstancié avait été remis à la famille. Nous l’avons beaucoup cherché. Dans tous les tiroirs, de tous les meubles, et nous l’avons trouvé dans le buffet de la salle à manger, au milieu d’un incroyable bric à braque, papiers d’identité, factures, boite de henné, écouvillons de toutes tailles, dessins d’enfant… un rapport relié noir où tout était raconté… la voiture volée, juste passé le porche de la prison, et le crash à peine 800 mètres plus loin, l’ivresse de la liberté. Tous les détails étaient consignés , l’après-midi a passé vite à expliquer cette tragédie à cette maman. Elle a beaucoup pleuré, je l’ai beaucoup embrassée. Mais je crois qu’elle en fut apaisée et qu’enfin son deuil, elle put le faire. Depuis elle a rejoint son fils, Paix à leur âme !

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