Plus quun oiseau, massif, le grand oiseau obscur, moche, au bec recourbé, et à la truffe cornée où pourraient nicher un albatros et deux palombes.
Le cou pelé, et un béret de vieux satin, le grand Condor ressemblent à une dinde vêtue de deuil.
Il est au dessus, en dessous et au-dedans il est moi, tu es lui, il est Apu-Kundur, le Dieu Condor.
Quand dans le Château des Aigles je me suis risquée à mapprocher de sa chaîne, il ma regardée avec des yeux inexpressifs, sale, il ressemblait à une âme en peine avec sa crête haute sur le sommet de son crâne il semblait être un parent de Quetzalcoalt, le serpent ailé.
Ensuite la créature condamnée et ennuyée cherchait à tourner le dos et fuir en débandade. Prisonnier, loin de ses hauteurs il quitte son vieux corps emplumé et par la pensée gagne sa liberté.
Cependant il a en lui la lumière sacrée, lâme des tragédies, les plumes des écrivains et il garde son identité première dans les hauteurs célestes, où ne peuvent latteindre les regards prétentieux disposés à juger son apparence et son aspect crasseux.
Car là bas, sur les hauts rochers des plateaux andins, son blanc est « argent » et son noir est « nuit », ses yeux sont le miroir du monde.
Le Condor na quune aimante par vie, une compagne inséparable chauve et voûtée comme lui, et aussi gracieuse quun bouffon dérisoire. Les deux amants amoureux sillonnent les paysages, dans loxygène raréfié au-delà des nuages que transpercent les pics montagneux et ils semblent se dire : «tant que je vivrais, je taimerai mon monstre à moi
»
Et ainsi passent-ils leurs jours, salimentant de la nichée de lévolution des chaînes des autres vies vécues.
Le condor a un cur et une conscience, il est affectueux, désire et aime linsolite colombe de ses songes ; sa fidèle compagne. Son amour est si grand, si pur, que si lun deux est emmené par la mort, celui qui reste, loin de survivre solitaire sur le plateau dune vie aride sans amour, senvole décidé, jusquà frôler le toit de latmosphère là où ses ailes presque
senflamment.
Alors il les plie le long du corps et se laisse tomber en torche jusquau sol, où le cur étoilé lui ouvrira les portes de lautre ciel, celui de la mort.
Plutôt que dangoisse ressentir labsence de sa moitié, il préfère choisir le même sort afin de la rejoindre dans lautre monde.
Cela fait longtemps quà la place du poulet géant et laid que voient les profanes, je vois la cape obscure dune fée, et dans le rauque soupir de sa gorge, un poème indéchiffrable dappels qui séchappent vers les hauteurs vertigineuses où elles demeurent figées, éternelles traversant les temps pour que nous comprenions que ce qui est beau est au-dedans.
Pour que la conscience animale ne nous quitte pas et que nous ne nous perdions pas dans un jugement de valeur seul la valeur de lamour compte le condor se sacrifie à son amour et son sang nous dit ce qui est au dessus, ce qui est en bas, ce qui est au-dedans.
Dédié à ceux qui se consacrent « au-dedans
» à ceux qui scrutent, observent
ceux qui offrent des opportunités sans abandonner les persévérants.
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