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Morse attaque par PoinG

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Devant ma fenêtre il y a la vie. La vie des autres, ceux que je ne rencontrerais jamais. Pourtant au milieu, en plein milieu posé contre la vitre, il y a ce carré noir. Il s’allumera aux environs de19h. Je note l’heure dans mon carnet, noir lui aussi, comme cette fenêtre qui s’allume sur la ligne en plein milieu de cette barre, des immeubles réglés comme partition en béton. Et chaque soir la fenêtre s’éteindra à horaires variables et je sais que c’est idiot mais souvent je ressens un pincement au cœur en me demandant si demain elle se rallumera encore. De ma fenêtre on ne voit rien de ce qui se passe à l’intérieur de l’autre, c’est trop loin. Qui pèse sur l’interrupteur m’importe peu, ni si c’est un homme, une femme, un enfant, s’il s’agit d’une suspension dans une cuisine, un salon, une salle à manger, le plafonnier d’une chambre. Je suis sûre qu’il ne s’agit pas d’une salle d’eau dans laquelle on allume, on éteint en fonction de la durée des ablutions. Alors que là, l’éclairage s’inscrit sur une plage longue, sans nécessaire efficacité. Que ça serve ou pas, ça dit : Ici il y a quelqu’un qui respire. C’est comme une étoile à moi, elle se substitut à ce ciel éteint dont les lumières de la ville occultent toute perspective. En ville, la nuit est en paradoxe, n’est que par ses lumières artificielles. Je suis habituée à ne plus côtoyer la nuit totale au point que quand je me retrouve à la campagne, j’ai l’impression d’étouffer sous le poids du noir, ce sombre presque poudreux qui bave comme le toner d’une imprimante. Il colle mes yeux et il me faut faire un effort pour forcer le regard à voir, comme si mes yeux manquaient d’air. Chaque lumignon d’étoile est comme une bulle qui m’aide à respirer l’univers. Dans ce ciel noir de geais, quand l’air est pur et dégagé, je cherche une étoile particulière, un peu comme cette fenêtre, elle n’est pas toujours allumée ou plus exactement, je n’arrive pas toujours à la repérer. J’en ai fait un signe du destin : si je la vois, c’est que ça baigne, en revanche, si elle n’apparaît, c’est que quelque chose ne va pas. Alors, je commence à fouiller le quotidien, qu’est-ce qui ne tourne pas rond ou risque de ne pas aller droit ? Je finis toujours par trouver quelque chose, un truc qui donnera crédit à mon signe quand l’univers se met en tête de m’adresser la parole. Et ça va mieux. Par exemple, je comprends pourquoi j’ai décidé de prendre le train ce matin pour aller m’enfermer dans cette campagne qu’au fond je déteste, où je m’ennuie et me force à sortir, à parcourir ces kms à pieds sur ces sentiers balisés avec une carte topographique qui me tient la main. Avec un peu de chance je tomberais sur une petite auberge où j’oserais m’installer seule à une table, entre la porte des toilettes et le battant qui ouvre sur la cuisine, juste là où les humeurs se combinent pour couper l’appétit. Mais peut-être renoncerais-je à pousser la porte du restaurant, visant une alimentation encore ouverte à cette heure ou une boulangerie et je me concocterais un repas sur le pouce en pensant à ce que je m’achèterais avec l’argent du repas économisé, une écharpe, une paire de boucles d’oreilles ou même, tiens, un roman. Cela fait si longtemps. D’habitude je lis les « nouveautés » quand la bibliothèque les choisit. Rien que d’y penser, le crouton de pain, qui ferait office de déjeuner, aurait le goût des mots fraichement encrés, mélangé à une saveur de papier tout juste tranché. Puis je rentrerais le soir harassée, le corps vidé jusqu’aux velléités. J’arriverais trop tard pour voir la lumière de la fenêtre d’en face s’allumer ou s’éteindre. Mais je regarderais à tout hasard, comme le réflexe de chercher mon étoile particulière et je noterais sur le carnet noir, la date, l’heure et le statut de la fenêtre à ce moment là. À moins que la fenêtre ne soit éteinte quand j’allumerais la mienne, à moins qu’elle ne se mette à clignoter, à moins que je ne m’amuse à répondre en actionnant l’interrupteur à la même cadence, à moins que je ne connaisse l’alphabet morse, à moins que je ne note rapidement les signaux sur mon carnet pour réunir les lettres en mots, à moins que je ne réponde aux signes par trois allumages longs suivis d’un autre long, puis un court, puis encore d’un long.

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