Dimanche 21 avril, il faisait beau et je traînais dans le Jardin des Tuileries. Je métais installé sur un banc, côté quai des Tuileries, et je lisais un livre.
Aux environs de 16 h, jai entendu quelques clameurs et des coups de klaxon au loin, côté rue de Rivoli. Je savais que des événements avaient été organisés autour du mariage dit « pour tous ». Des opposants « de droite » devaient défiler sur la rive gauche et des partisans « de gauche » devaient se réunir à la Bastille. Quelques incontrôlés avaient pu échouer rue de Rivoli. Je fus piqué par la curiosité.
Je traversai le parc pour voir les enragés. Aux couleurs bleues quils agitaient, jai conclu quil sagissait probablement dun escadron de « la manif pour tous » ou du « printemps français ». Mais ce nétait pas un commando de crânes rasés. Quelques jeunes garçons et jeunes filles de bonne famille qui faisaient preuve daudace tout simplement.
Leur audace était toute en modération dailleurs et leur rage se limitait à bloquer un peu la circulation à un feu rouge. Celui de la rue Rivoli à la hauteur de la rue du Vingt Neuf juillet qui permet aux visiteurs daccéder au jardin et de le quitter. Les clameurs étaient celles des jeunes gens et les klaxons ceux des automobilistes qui voulaient les soutenir ou leur demander de se retirer.
Comme pour me contrarier, ces jeunes ont dailleurs décidé de se retirer au moment où je mapprochais. Ils sont entrés dans le jardin et jai entrepris de les suivre. Ils lon traversé par la gauche, en sont sortis au quai des Tuileries et ont emprunté le Pont Royal. Je les avais estimés à une vingtaine environ lorsquils étaient dans le jardin, mais sur le pont ils ne me semblaient plus quune dizaine. Ils ne cherchaient plus à importuner les voitures (point trop nen faut) et se contentaient dagiter leurs couleurs sous le nez des passants. Je les ai suivis encore le long du quai Anatole France, mais je les ai quitté au niveau du pont Léopold Sedar Senghor en renonçant à les interviewer (point trop nen faut).
Les jeunes enragés senfonçaient dans lavenue Solferino, peut-être dans le but denvahir les locaux du parti qui est majoritaire depuis moins dun an.
Je me suis interrogé un temps sur les réelles motivations de ces enfants.
Ils semblent épouser avec tant de ferveur les passions de leurs parents. Ceux-ci sont entrés en « résistance » sitôt élu lusurpateur. Et nous ne sommes plus en 1981 où des enfants de la bourgeoisie, après avoir « écouter pousser leurs chveux », pouvaient avoir voté à gauche pour faire la nique à leur parents . (1)
http://www.youtube.com/watch?v=OW9VUoMKgF4
Le « conflit des générations » que moquait Brel semble avoir quitté cette bourgeoisie, petite et moyenne, en perte de repères et de valeurs, qui déclare se lancer dans « la guerre civile ».
Cest la peur qui domine cette bourgeoisie et ses enfants : peur de lavenir et déclassement ; peur de perdre une situation, des privilèges, des illusions.
Les enfants sont perdus, en outre, entre la peur et lenvie de perdre un pucelage, dêtre des « paumés du petit matin ».
http://www.dailymotion.com/video/xhntp_jacques-brel-les-paumes-du-matin_news
Perdus entre lenvie de dire, avec Paul Nizan (2) et un peu danticipation : « Javais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que cest le plus bel âge de la vie. »
Et de dire avec Rimbaud et un peu dimpatience :
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
On va sous les tilleuls verts de la promenade. (3)
Cependant, les ressources de la psychologie sont nécessaires pour comprendre comment ils peuvent être transportés par les figures tutélaires de Frigide Barjot et Béatrice Bourges.
Lorsque javais leur âge, il métait arrivé de défiler dans la rue, mais ce nétait pas dans des manifestations quavaient organisées des amis de mes parents.
Le livre que je lisais une demi-heure avant de croiser ces enfants, cétait lHISTOIRE ANACHRONIQUE DES FRANÇAIS de Louis Chevalier.
(1) Ils pouvaient même aller jusquà entonner des chansons un peu irrévérencieuses, quoique plutôt convenues lorsquon se limite au refrain : http://www.dailymotion.com/video/x1138t_jacques-brel-les-bourgeois-1964_music
(2) ADEN ARABIE (1931). Paul Nizan est le grand père dEmmanuel Todd.
(3)
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
On va sous les tilleuls verts de la promenade.
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin
A des parfums de vigne et des parfums de bière...
Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête...
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête...
Le coeur fou robinsonne à travers les romans,
Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux col effrayant de son père...
Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...
Sur vos lèvres alors meurent les cavatines..
Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire !...
Ce soir-là..., vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.
↧