Chère fidèle amie,
Il y a quelques minutes encore, jétais allongée dans la piscine de mon client et hôte, étendue sur le dos, les oreilles immergées, les bras écartés, les yeux embrassant le paysage, le ciel et les pins.
Quel bonheur, je devrais même parler de béatitude, que de se laisser aller au fil de leau sans faire un mouvement, cest là où je me sens le mieux, sans tension, sans pensée, toute à cet instant privilégié ; jattends la fin de la journée, quand il ny a plus personne, plus de bruit, que la température de lair est à peine plus élevée que celle de leau afin d'y entrer sans peine.
Je savoure cet instant comme un cadeau, une halte dans cette vie toujours un peu trop agitée à mon goût.
Vous mavez demandé il y a longtemps pourquoi jétais devenue celle que je suis.
Aujourdhui, jai envie de vous le dire.
Jai aimé les mots, surtout ceux qui jaillissaient sans préméditation et sans calcul, ce délice poétique, douloureux parfois, mots quil me fallait coucher le plus rapidement possible sur le papier avant quils ne sévanouissent.
Un jour, ce besoin de prolonger par les mots cette expérience sensuelle et sensible que javais du monde sest éteint et je me suis retrouvée nue mais vivante comme si je faisais partie désormais de cet univers, comme si javais déchiré ce cocon protecteur des mots.
Jai aimé aussi les mots des autres, le bonheur et le malheur de lêtre humain étalé, disséqué parfois, je my suis plongée, vautrée même jusquà livresse, maintenant je ne lis plus rien car je ne trouve plus rien de nouveau. Tout a été dit.
Désormais, je prête mes mots aux autres, je suis devenue laccoucheuse, celle qui fait que personne ne repart jamais complètement intacte de lhistoire quil me raconte et quil se raconte.
« Comment tamiser la distance
entre nous et l'absence
pour trouver à la fin notre présence ? »
Voilà comment je suis devenue un nègre.
Bien à vous,
Leïla.
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