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les corbeaux, le nuage et la soprano (un commentaire long, sérieux et narcissique) par Abicyclette

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« Toute conscience est conscience de quelque chose »… a dit Husserl, que, tout comme Bergson pour une large partie de son oeuvre, je n’ai pas lu. Par contre, j’ai lu quelque part sur PCC « Ecris ! tu verras c’est facile, il suffit de s’y mettre » J’en ai vraiment été étonné, car, pour ma part, je trouve souvent cela bien difficile, et d’abord j’ai un problème énorme pour « m’y mettre », ce que j’appellerais volontiers, à la façon d’un animal qui s’apprête à mettre bas : « me mettre au travail ». Il s’agit surtout de la désagréable sensation de vanité que j’éprouve au regard de ce qui, en moi et hors de moi, est, tout simplement, sans besoin d’être dit, ou craignant d’être dit. Le sens qui se dissout à mesure que je tente l’approche, les mots mal choisis, mal agencés, des tournures trop frustres ou compliquées, trop sobres ou démonstratives : une vérité impossible à conquérir. J’accepte que ces choses me restent floues, à la limite même de l’intelligible, mais non pas plus nettes (dans le meilleur des cas) et plus sales. C’est pour cela qu’il m’est si pénible de commencer à me mettre au travail. Pourtant, ce qu’a dit cette personne ne manque pas de bon sens, car une fois que le pas du premier mot est franchi, c’est déjà devenu autre chose qu’une épreuve : un jeu. Mais aussi, quand il s’agit de fixer le subtil ou l’éphémère : un défi. Qu’ai-je pensé de si intense mais si fugace, si inessentiel pour le quotidien ? Pourquoi cette lueur est-elle presque toujours étouffée par les deux ou trois gestes ordinaires qui la suivent ? Un midi, en courant sur un chemin de campagne, j’ai assisté à un atterrissage de corbeaux sur le champ de semis qui le bordait. J’ai compris à ce moment-là quelque chose d’important– je devais être dans un moment privilégié de conscience - une chose qui correspondait à cette perception d’une nuée de corbeaux mais dont le sens en englobait beaucoup d’autres. Malheureusement je suis désormais incapable de dire précisément quoi. J’aurais dû m’assoir pour méditer et, toutes affaires cessantes, faire pousser mes semis sur mon propre champ : le sens de cette vision, ses conséquences, les liens tissés avec d’autres pans de mon réel et de mon imaginaire. Mais j’ai continué ma course et, trop vite, pan! le coup de feu mental, les froissements d’ailes, mes corbeaux mentaux s’étaient envolés, le paysage était redevenu vierge. Parfois les choses ne sont pas aussi subites mais alors ! Quel effort violent plus tard, quand il est possible de réenclencher, soit avec de vagues souvenirs qui ont réussi à tenir le coup, soit avec des notes, qui apparaissent alors ou ridicules ou mystérieuses, ou triviales ou incohérentes. « Ecris ! tu verras c’est facile, il suffit de s’y mettre ». Aujourd’hui, par défi, parce que j’en ai besoin, je vais tenter de dire quelque chose que je repousse depuis longtemps par crainte de mal faire et de tout gâcher. Je vais tenter d’écrire simplement quelque chose de difficile mais pourtant vécu très clairement : ma conscience qui s’observait elle-même. Il y a eu ce nuage et cette note de musique qui faisait comme un arc. Et rien ne les reliait. Alors que mes yeux étaient au ciel, il m’est apparu, cette complète dissimilitude entre ce nuage là qui passait, avec sa forme, sa densité et sa couleur singulière, et cet arc déployé par la soprano qui chantait. J’ai été surpris, et même choqué, qu’aucun point de contact ne s’établisse entre ce nuage et ce chant. Voilà qui m’a parut invraisemblable. Il a d’abord fallu que je me rende compte que je cherchais instinctivement à les associer, puis, dans un second temps seulement, qu’aucune association ne pouvait se former en moi. Et lorsque j’en eu la claire conscience, je compris que je devais combiner sans cesse les fragments disparates du monde depuis quelques secondes, minutes ou heures, pour y découvrir des liens dans mon imaginaire, que je devais être particulièrement en forme ce jour là, dans un état de pleine conscience inhabituel, que je devais tourner à plein régime, que toutes mes tentacules étaient déployés puisque j’avais réussi à réaliser soudain qu’il n’y avait rien à associer entre cette note et ce nuage. J’ai été bien avisé d’y avoir pris garde : comprendre que ce hiatus vienne de se produire et en mesurer la conséquence, ce n’était plus observer le monde, c’était voir ma conscience étonnée qui, à travers la transparence d’un vide, se regardait elle-même.

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