J'aime bien cette émission je l'avoue, je la suis depuis le début, c'est mon côté fleur bleue, coeur d'artichaut, harlequin et compagnie, à l'antipode de mon alter sombre et penché sans cesse sur la souffrance des autres, il n'y a pas vraiment de milieu au milieu, juste un regard qui s'éclaircit et un rire plus cristallin.
Mon métier c'est de voir s'ouvrir le champ des impossibles qui barrent le chemin au reste, lorsque se déroule la vie d'un autre dans ses mots et ceux de sa famille, tout est à découvert, les secrets s'éventent et se disent, et bien souvent on ne peut que relever l'extrême pouvoir de l'humain et de son environnement la capacité d'en rendre un autre presque cinglé, je m'en étonne toujours même au bout de tant d'années, des histoires extraordinaires pour des gens ordinaires qui n'en demandait pas tant.
Alors j'aime les belles histoires d'amour, ou d'amitié, ces histoires d'improbables rencontres, ces renaissances quelquefois, j'aime quand ça se termine bien parce que dans mon quotidien ça ne fait souvent que s'empirer, le désir se retire d'arides terres où l'on boit jusqu'à plus soif ses souffrances d'avant.
Le concept d'aller chercher des agriculteurs et autre avait un côté novateur, tant bien d'autres émissions où les gens se racontent et se rencontrent existaient déjà, j'ai regardé au début par curiosité et puis je me suis attachée à ces gens de partout, d'un monde assez lointain du mien.
Pourtant, au fil des saisons, une chose m'a vraiment frappé, c'est à la fois l'extrême solitude et des personnalités très en retrait de la vie et de soi qu'il y avait parfois, glissées au milieu d'agriculteurs lambda avec le même genre de parcours que qui quiquonque.
Je restais assez interdite devant ces gens s'exprimant très difficilement et avec un vocabulaire d'où l'affect semblait s'être tarie comme une source restée trop longtemps sous l'aride soleil d'un désert affectif prolongé.
La solitude est une pierre angulaire de ma vie, enfant je tournoyais sur moi même dans le silence des pensions où ma mère nous abandonnait jusqu'à ne plus rien sentir ni entendre, je m'arrachais la peau des lèvres jusqu'au sang plutôt que d'étirer hors de moi cette solitude qui broyait mon coeur, je n'ai jamais oublié ça et j'ai grandi avec comme une amie discrète et prévenante, toujours disponible pour receuillir mes émotions et mes pensées, je suis devenue cette solitude, elle s'est mélangée à ma peau, mon sang et mes os, tel un silence à la fois doux mais aux pointes parfois acérées qui transperçaient mes jours d'interminables vaines attentes.
J'écoutais ces agriculteurs attentivement comme j'écoute aussi mes patients, je les comprenais mais c'était comme un miroir difficile à retourner sur soi, ces gens avaient passé parfois le plus clair de leurs vies seuls, est ce que cela pouvait exister encore aujourd'hui, à l'heure où nous sommes censés ne pas ignorer qui est à côté de nous ? je savais que oui parce que chaque jour des gens arrivent à l'hôpital et souvent le fil rouge de leurs histoires est cette solitude extrême qui les amène parfois à finir par se parler à eux même ou à un autre, enfin c'est ce que pense, j'ai souvent eu peur dans mes grands moments de solitude de passer de l'autre côté à force de rester entièrement seule pendant mes jours de repos, mais il paraît que je ne suis pas faite pour cette terre.
Je me souviens de Pascal, agriculteur qui ne décrochait pas un mot à la jeune fille qu'il avait invité, à ses courses faites de boîte de conserve, à sa maison impersonnelle et vide, seule son goût pour la musique heavy métal venait donner une touche de vie à tous ces angles morts, traverser sa vie et ne pas en dire un mot ou avoir rencontré des mains avides de votre corps et un coeur prompt à vous aimer c'est terrible.
Ce ma me rappelle ce temps de la canicule où tous ces corps se retrouvaient parqués sur le marché de rungis, que personne ne réclamait, une absurdité qui me faisait presque rire tant c'en était désolant, le désert affectif a un prix qu'on le veuille ou non.
J'ai remarqué aussi que souvent ces agriculteurs seuls avaient de grandes maisons, bien rangées où rien ne dépassait, un espace vide et sans chaleur qui ne donnait pas envie de s'y poser, comme la rudesse imposée à leurs coeurs déteignait sur ce qui les entourait.
Ne pas pratiquer la vie finit par faire s'amenuiser notre capacité à l'accepter et la sentir, l'année dernière c'était Edouard qui se retranchait d'un coup sans raison derrière un mutisme implacable qui avait fait fuir ses deux invitées.
Oui il y a des vies qui se déroulent dans l'ombre des autres, plus radieuses, sans un mot ou presque pas, l'onde mélodieuse des mots tendre et amoureux ne sait pas alors se frayer un chemin dans l'instant qui le réclame, ça me touche toujours cette solitude, moi le plus long ç'a a été quatre ans sans rien, le corps se ferme alors pour moins souffrir de l'absence de ce qui fait un sens au toucher, le coeur se mûre dans son chagrin et le temps s'égrène lentement.
Certains trouvent ces émissions voyeuristes ou débiles comme toutes les autres où les gens viennent à la télé exposer leurs vies et leurs problèmes, il y a des psy pour cela me direz vous mais en arriver là n'est pas toujours facile alors c'est une passerelle entre soi et l'autre, pour comprendre que d'autres vivent ou ont vécus de similaires histoires et que pour une fois on n'est pas seul, alors la voix se délie, les choses se disent, une graine d'espoir et de vie tombe au fond de soi même et ricoche sur notre envie de revenir à la lumière, je suis sûr que dans le fond cela aide beaucoup de personnes de commencer par ce petit pas là.
L'amour est dans le pré nous offre aussi un écran sur ce qu'ils deviennent, un an après retrouvailles avec les heureux ou moins heureux qui se sont un peu ouverts, délicatement et timidement, comme une fleur s'offrant à un soleil de printemps, j'aime savoir qu'ils continuent ce retour vers eux même débuté avant, et puis plus que tout j'aime ces belles histoires qui sont nées et les bébés avec, comme Pierre et Frédérique l'année dernière, il n'y a pas que les échecs et les illusions perdues dans la vie, il y a un bonheur, là, peut-être pour chacun de nous...dans le pré ou ailleurs.
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