Deux cent cinquante millions de dollars. Si vous avez deux cent cinquante millions de dollars, vous pouvez vous payer le Washington Post. Oui, oui, "le" Washington Post, celui du célèbre Watergate, celui de lindépendance parfois pénible de la presse aux États-Unis.
Je dis pénible pour le pouvoir, mais cest très difficile davoir une bonne idée en France, car ce type de presse nexiste pas, celle qui pose les "vraies" questions, les bonnes questions bien documentées, qui agit impartialement dans le seul but déclairer les lecteurs, donc les citoyens (et donc les électeurs). En France, on oscille entre allégeance plus ou moins assumée et presse satirique prise autant au sérieux que les fous du roi.
Créé en 1877 par Stilson Hutchins, le Washington Post est diffusé à sept cent cinquante mille exemplaires chaque jour. Le journal avait réussi jusqualors à garder ses propriétaires familiaux.
Ce nest pas le seul journal américain à avoir eu des difficultés financières (à cause dInternet) et à devoir être revendu. Créé en 1933 et diffusé à quatre millions dexemplaires, Newsweek a été, lui aussi, revendu le 2 août 2010 (toujours en été), mais il avait été racheté auparavant par le Washington Post en 1961. Depuis le 1er janvier 2013, Newsweek na plus de version papier et ne survit quexclusivement numérique.
Donc, trois coups de cuillère à pot, hop ! la main au portefeuille, et bingo, je te me prends le Washington Post. Cétait parmi les informations du 6 août 2013. Qui est lheureux nouveau propriétaire ? Bezos. Jeff Bezos. Cest un type qui va avoir cinquante balais dans cinq mois.
Cest un Américain. Il a lancé à Seattle le site Amazon. Il y a un peu moins de vingt ans. En juillet 1994. En 2012, lentreprise fait quarante-huit milliards de dollars de chiffre daffaires ! Il a créé aussi en 2000 lentreprise Blue Origin spécialisée dans les vols spatiaux dagrément. Il a racheté en 1998 le site IMDb (Internet Movie Database) qui recense tous les films dans le monde (créé le 17 octobre 1990 par Col Needham), publiant deux milliards et demi de pages par mois lues par cinquante-cinq millions de visiteurs uniques simultanés (en février 2008).
Deux cent cinquante millions, cest peanuts pour lui. Un peu plus de 1% de sa tirelire. En mars 2012, Forbes la classé comme la vingt-sixième plus grande fortune au monde, avec dix-huit milliards et demi de dollars (faut-il dire le demi ?).
Revenons à Amazon : la société emploie en 2012 plus de cinquante mille personnes un peu partout dans le monde et fait la concurrence directe aux grandes librairies, comme Virgin Megastore.
Virgin Megastore :
http://www.pointscommuns.com/lire_commentaire.php?flag=L&id=105806
Dailleurs, de nombreux ministres français sont venus inaugurer en grandes pompes louverture dun nouvel entrepôt en France, heureux de voir quil y a des emplois qui se créaient. Pourtant, ces emplois sont plutôt peu qualifiés (lire à ce sujet linvestigation éloquente du journaliste Jean-Baptiste Malet chez Fayard, "En Amazonie, une enquête sur Amazon France", publiée en mai 2013) et bouffent ceux des librairies traditionnelles. Pas sûr que le compte soit gagnant.
Évidemment, pour Bezos, il lest, le compte, gagnant.
Rien ne dit que la ligne éditoriale du "Post" (comme on le surnomme) va changer. La réputation dun journal, le sérieux des informations, la compétence des journalistes nauront pas changé.
Mais il donne un signe évident de lidentité des nouveaux maîtres du monde.
Avant, cétait les capitaines dindustrie et les banquiers. Rothschild se payait Libé, Dassault le Figaro, et même Vivendi flirtait avec AOL. Mais tout cela est révolu.
Lheure est à Internet et à sa toute puissance financière. Amazon fait partie des quatre géants financiers dInternet avec Apple, Google et Facebook. Jai dû mal à comprendre comment des sites marchands ou gratuits peuvent se mettre autant dargent (des pubs) dans la poche. Pour Apple, en revanche, je comprends très bien sa valeur ajoutée en marketing et design.
Ce nest pas nouveau et pas seulement américain.
Il suffit de regarder qui est le (véritable) propriétaire du journal réputé de référence en France, Le Monde : cest le créateur dun fournisseur daccès Internet très compétitif, qui a même réussi à sintroduire dans le marché très contrôlé de la téléphonie mobile, et qui sest enrichi initialement grâce au minitel rose. Aujourdhui, non seulement il est à la tête du Monde (en association avec un banquier et un vieux mécène socialiste favorable à la location dutérus), mais il est le dixième homme le plus riche de France en 2013 avec près de six milliards deuros de patrimoine (un gain de plus de deux milliards en un an).
Bref, moi, je vous dis, méfiez-vous de pointscommuns.
Un jour, ils vont racheter Airbus et Areva !
Jespère que ça me permettra davoir des réducs sur un A380 ou sur une centrale dernier cri.
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